Après New York City, les hommes frappent de nouveau très fort : larsens de guitare, batterie extrême, hurlement déchirants… The Men donne l’impression de vouloir réinventer le rock’n’roll, de vouloir donner une leçon de savoir-vivre au post-punkisme. C’est à la fois extrêmement prétentieux et terriblement brillant.
Buyer Beware… let the buyer beware est une disposition de droit qui est utilisée pour indiquer que ce ne sont pas les vendeurs qui sont responsables des problèmes que les acheteurs pourraient rencontrer avec le produit qu’ils achètent. Ce sont les acheteurs qui doivent se renseigner avant. Sinon, ils achètent à leurs risques et périls. Nous voilà donc dûment avertis ! À nous d’assumer les potentiels dommages, les possibles mal façons en achetant et en écoutant cet album. Si The Men n’avait pas sorti New York City en 2023, on aurait peut-être pu hésiter. Mais après la décharge d’énergie qu’ils nous avaient envoyée, on pouvait se dire que s’ils continuaient sur ce rythme, alors il n’y avait rien à craindre. De fait, il n’y a rien à craindre. Sauf peut-être pour ses oreilles ! Mark Perro (voix, guitarre, synthés), Nick Chiericozzi (voix, guitare, saxophone), Rich Samis (batterie) et Kevin Faulkner (basse) ont laissé branchés les instruments qu’ils avaient rebranchés en 2023. The Men est redevenu le groupe de ses débuts. Et ce sera difficile de s’en plaindre ! 34 minutes de rock ‘n’ roll. Une musique électrique complètement débridée, sale, une musique jouée à une vitesse extrême. 34 minutes qui ne laissent quasiment jamais reprendre son souffle, qui n’offrent aucun répit – à part l’interlude de 38 secondes (Dry Cycle). Tous les morceaux frappent fort et tous de la même manière.
La « recette » est simple : des guitares crades et des riffs acérés joués à une vitesse désespérante ; de vrais solos joués à la limite en larsen ; des paroles sont éructées plus que chantées ; une rythmique agressive. La palme dans le genre revient à Control : après une brève intro, tout se déchaîne, Rich Samis tape comme un forcené sur ses fûts, comme s’il cherchait à les détruire, Mark Perro s’amuse à tirer des solos de plus en plus à la limite du larsen (pour ne pas dire du bruit), Nick Chiericozzi hurle comme un possédé habité par le diable. Tout part dans tous les sens de manière totalement chaotique. C’est un peu la même chose avec PO Box 96, même si le morceau semble un peu plus ordonné et un peu plus aller du début à la fin plutôt que de tourner en rond. Le solo de guitare est un peu plus propre (un peu seulement). Le chant semble un peu moins paranoïaque. Mais la vitesse extrême de la rythmique reste la même. Ce qui donne au morceau la même force radicale, la même capacité de provoquer un sentiment d’angoisse et d’enfermement.
Quasiment tous les morceaux sont du même acabit. At The Movie, Black Heart Blue, Buyer Beware (qui se distingue parce que c’est le saxo qui joue les solos, assez étrange, mais pas mal du tout), ou File Sermon. Difficile d’en parler d’une manière différente. Le rythme est le même, les riffs sont toujours impeccables (mélodiques), les solos de guitares sont héroïques– que ces solos de guitare font du bien à entendre, ce côté rock ‘n’ roll, ce côté Van Halen rendant hommage aux Kinks. Comment ne pas y penser aussi en entendant le riff d’intro de Tombstone, un riff qui revient pour annoncer un autre solo absolument génial. Évidemment, toujours la même rythmique pressée d’en finir, et contente d’en finir : les 30 dernières secondes sont un feu d’artifice bruitiste. Get My Soul et The Path sont un peu différents, plus lents, moins rock ‘n’ roll, plus métal, plus sombres – surtout The Path d’ailleurs, lent, lourd. Nothing Wrong a même un côté blues qui rappelle que la tentation du groupe à explorer d’autres pistes. C’est mystique – « don’t weep for Jesus, don’t weep for me », qui donne aussi une mesure de la démesure du groupe. Mais c’est brillant, franchement brillant, surtout quand le morceau dérape en une furia de guitares, de basse et de batterie. Brillant comme les 2 singles, Charm et Pony. Les deux premiers sont des single et donnent une image de l’album différente de ce qu’il est. Ce sont des morceaux épuisants, rythmés aussi, et à certains moments on sent que le groupe pourrait déraper et qu’on pourrait finir comme sur Control, sans plus aucun contrôle justement, mais le groupe se reprend et revient sur quelque chose de plus mélodique. On se retrouve avec des morceaux plus plus propres, plus ordonnés.
Alain Marciano