The Murder Capital – Blindness : amour du pays ou haine de l’humanité ?

Troisième album pour les Dublinois de The Murder Capital, où ils continuent de cultiver l’art de désorienter leur public. Un album rugueux mais précieux, en particulier grâce à certains textes très forts de James McGovern.

The Murder Capital - Hugo Comte 4
Photo : Hugo Comte

The Murder Capital est un groupe qui a eu très vite tendance à brouiller les repères, à aller dans des directions inattendues : en cela, ils sont finalement assez semblables à leurs compères / concurrents de Dublin, Fontaines DC, apparus sur les radars à peu près en même temps. Ce qui est intéressant, c’est qu’au départ, entre les deux groupes, on aurait eu tendance à parier plutôt sur The Murder Capital, du fait de prestations live d’une intensité exceptionnelle, bien supérieures à celle que pouvait offrir à l’époque l’équipe du neurasthénique Grian Chatten. Aujourd’hui, Fontaines DC en sont à remplir les plus grandes salles de concerts mondiales, tandis que The Murder Capital restent cantonnés à une certaine confidentialité. Est-ce la faute à un premier album, When I Have Fears, trop en ligne avec les codes tutélaires du Post-Punk des années 80, et extrêmement sombre ? Ou bien est-ce au contraire le virage mélodique, parfois à la limite du rock progressif, de Gigi’s Recovery, qui a trop désorienté le public ?

BlindnessDans tous les cas, on en arrive aujourd’hui au troisième album, Blindness, qui propose une palette sonore élargie, mêlant l’habituelle intensité rock du groupe avec des tentatives exploratoires d’une musique plus harmonieuse, plus douce.

L’intro de l’album, Moonshot, nous plonge dans une atmosphère noire, brutale, finalement peu représentative du reste du disque. On a presque l’impression que le groupe a voulu copier la recette de IDLES, coutumiers du fait (… d’introductions extrémistes…). James McGovern, le chanteur, le justifie de la manière suivante : « It kicked the door down. It stood for everything that we’d set out to do in the very beginning. » (Un morceau qui défonce la porte. Qui représentait tout ce que nous avions prévu de faire au tout début). Vu ce qui suit, on pourrait argumenter qu’il s’agit d’un coup de chapeau, d’un adieu aux débuts turbulents du groupe… Car si les morceaux suivants, Words Lost Meaning et Can’t Pretend to Know, maintiennent cette tension, c’est sous une forme nettement plus classique, moins agressive : deux chansons très accomplies, qui devraient être bien reçues par les fans.

C’est A Distant Life qui crée la rupture, avec son approche nettement plus lumineuse, définitivement mélodique, témoignant de la capacité du groupe à varier les ambiances, à se diversifier. Born Into The Fight est le premier titre à la fois fort et surprenant : le chant de James McGovern est plus modulé, plus évocateur d’émotions nouvelles pour le groupe. Un bref pic d’intensité survient à mi-course, avant que la chanson ne se poursuive dans le même registre. Le sujet est audacieux pour de jeunes Irlandais éduqués dans la foi catholique, que l’on sait forte dans leur pays, puisqu’il s’agit de challenger cette foi, qui n’a rien à voir avec la vérité, la profondeur de l’expérience humaine : « Faith is just a trial / Soon, in death, we see / When a life is regarded / As more than a thing / Cradled by the waves / Gifted with sight » (La foi n’est qu’une épreuve / Bientôt, dans la mort, nous voyons / Quand une vie est considérée / Comme plus qu’une chose / Bercée par les vagues / Mais douée d’une vision).

Un style musical que prolonge Love of Country, une sorte ballade bringuebalante et rugueuse, longue de six minutes : abordant des thèmes brûlants en ce moment tels que le nationalisme et la xénophobie, Love of Country reflète l’engagement de The Murder Capital à un moment où il est essentiel. Un « poème » politique que McGovern raconte avoir écrit d’un jet, pendant que ses collègues jouaient la musique, et qu’il considère donc résumer instinctivement son expérience, depuis son enfance bercée par le nationalisme anti-britannique, jusqu’aux récentes manifestations de l’extrême-droite à Dublin. Qui se conclut par cette phrase très forte, très juste : « Could you blame me for mistakin’ your love of country for hate of man? » (Peux-tu me reprocher de confondre ton amour de la patrie avec une haine de l’humanité ?). Une belle réussite, sur un terrain où l’on n’attendait pas forcément nos amis irlandais…

The Fall marque un retour au Post Punk, et sonne presque convenu après les pas de côté des deux titres précédents. Pas mauvais, certes, mais pas surprenant, même si sur scène, le titre devrait bien fonctionner. Heureusement, Death of a Giant, le morceau le plus immédiatement, jouissif rassure ceux qui commençaient à s’inquiéter : c’est une belle tuerie, deux minutes et demies de bonheur et d’excitation. De classe aussi. Swallow poursuit dans l’excellence, tout en revenant à un tempo plus calme : sa grande qualité est de développer une atmosphère mélancolique mais complexe, dévoilant combien le groupe a mûri, et est capable désormais de construire des choses moins immédiates, moins facilement définissables. De prendre le risque de la dissonance, du malaise, sans jamais perdre de vue la Beauté – qui a toujours été l’un des objectifs de la musique de The Murder Capital. Potentiellement le sommet de l’album, à confirmer ou non après des écoutes répétées.

That Feeling joue encore aussi sur le chant de McGovern, bien en avant mais posé sur un lit de guitares cinglantes, dans une construction en crescendo d’intensité parfaitement efficace. Le disque se referme en douceur sur un Trailing a Wing en demi-teinte, laissant la jolie impression d’un album peu produit, presque épuré, authentique. Où voix et instruments nous sont livrés comme s’ils avaient été enregistrés en une seule prise.

Finalement, on ne peut affirmer que cet album sera celui de la consécration, ses variations d’atmosphère et de forme, ainsi que sa relative rugosité, risquant bien de désorienter les auditeurs. Mais il témoigne en tous cas de l’ambition d’un groupe peu décidé à faire du sur place.

Eric Debarnot

The Murder Capital – Blindness
Label : Human Seasons Records
Date de sortie : 21 février 2025

 

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