Bdrmm – Microtonic : Kafka + Lynch + de l’électronique à foison…

Album d’évolution notable plus que de rupture brutale, Microtonic voit Bdrmm privilégier l’électronique et l’expérimentation sans abandonner pour autant ses atmosphères planantes et mélancoliques qui ont séduit son public.

Lake disappointment PR photo
Photo : Stew Baxter

goit, le titre ouvrant le troisième album de Bdrmm, Microtonic, ne ressemble à rien de ce que le nouveau groupe anglais « à la mode » a fait jusqu’à présent. A la limite, il ressemble à quelque chose que Working Men’s Club aurait pu faire. Ah ! En fait, c’est bel et bien une collaboration entre les deux groupes (c’est Sydney Minsky-Sargeant qui chante…)…  Mais au delà de cette ouverture pour le moins culottée, très sombre aussi (« Realising your mortality / Makes me feel weak inside » – Prendre conscience de ta mortalité / Me fait me sentir faible – sont les premiers mots que l’on entendra…), et donc a priori très excitante, il est question cette fois d’une évolution notable de la musique du groupe originaire de Hull : une transition, audacieuse parce qu’il n’est pas certain que le public, en augmentation constante, de Bdrmm soit enchanté, du shoegaze vers une musique franchement électronique.

MicrotonicA la découverte du titre de l’album, nous, qui n’y connaissons rien en termes d’électro, avions imaginé (espéré ?) que Bdrmm allaient chasser sur les terres « microtonales » de King Gizzard… ; il semble en fait que « Microtonic (µTonic…) » soit un plug in de la maison Sonic Charge, qui peut servir de drum machine simple et peu coûteuse (je suis sûr qu’un lecteur me corrigera si c’est complètement faux !), ce qui fait plus de sens quand on entend l’ouverture de John on the Ceiling, le premier extrait de l’album dévoilé avant sa sortie : les beats et les bidouillages électroniques qui prolifèrent d’entrée modifient profondément la texture d’un titre planant et mélodieux qui, sinon, ne serait sans doute pas aussi distant de ce que le groupe proposait jusqu’à présent.

Infinity Peaking, qui suit, s’avère malheureusement moins notable, retrouvant le genre d’atmosphère mélancolique caractéristique de Bdrmm : pas forcément un grand titre, parce qu’il nous caresse trop gentiment dans le sens du poil, et remballe l’atmosphère noire, oppressante des deux morceaux précédents. Heureusement, juste après, Snares relance l’intérêt : on a presque le sentiment d’être chez les Stranglers électroniques de European Female ou de la Folie, et ça, c’est drôle et stimulant. In the Electric Field, porté par le chant envoûtant d’Olivesque, poursuit dans le développement d’atmosphères lourdes, à la fois accablantes et fascinantes : une réussite totale.

La seconde face débute par un Microtonic qui, de manière assez évidente, ressemble à une réponse du berger à la bergère, pardon une réponse à Mogwai : trois minutes de post rock à la fois sombre et léger, adoptant la formule en crescendo bien connue des Ecossais, avec l’apparition de guitares bruyantes. C’est très beau, mais, évidemment, pas d’une folle originalité. Clarkycat qui suit est un long titre atmosphérique, dont la première partie fascinera ou ennuiera, suivant l’état d’esprit de l’auditeur ; force est pourtant de reconnaître que l’association électronique + dream pop à guitares de la seconde partie du titre est habilement faite, et finalement assez remarquable.

En comparaison avec ce qui a précédé, Sat in the Heat est plus anecdotique, sans doute trop long pour son propre bien. Heureusement, Lake Disappointment, plutôt expérimental, génère des images troublantes, et injecte dans l’album une sorte d’excitation angoissée, dont on aimerait, cette fois, qu’elle dure plus longtemps : une piste à suivre pour le prochain disque, sans aucun doute. La conclusion de The Noose est parfaite : sombre et cinématographique, elle définit exactement la démarche actuelle du groupe, synthétise idéalement les neuf chansons qui ont précédé. Et nous abandonne, finalement, séduits…

Le groupe raconte avoir été inspiré par La Métamorphose de Kafka et Eraserhead de Lynch, des références pour le moins ambitieuses, écrasantes presque. On n’en trouve pas vraiment de traces dans les textes des chansons, peu frappantes (disons que les lyrics de leurs chansons n’ont jamais été une force de Bdrmm), mais elles font en effet sens à l’écoute de l’album, qui se présente musicalement comme un labyrinthe mental souvent oppressant, voire, parfois, au contraire (faussement ?) confortable.

Et de toute manière, devant une aussi jolie prise de risques (même si, on l’a dit, il reste dans le fond encore pas mal des caractéristiques de la musique antérieure de Bdrmm), on ne peut qu’applaudir à deux mains. Nul n’a besoin de voir s’accumuler ad vitam aeternam les groupes de post-punk et de shoegaze ; par contre toute tentative d’explorer de nouveaux territoires est bienvenue à notre époque de recyclage excessif.

Eric Debarnot

Bdrmm – Microtonic
Label : Rock Action Records
Date de sortie : 28 février 2025

 

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