Désastre industriel à l’image de celui qui menace dans le Système Victoria ses bâtisseurs de tours à la Défense, le second film de Sylvain Desclous est également une épreuve pour les spectateurs égarés.

De grandes espérances ayant été à sa sortie une très belle découverte, il était logique d’attendre avec une certaine curiosité le film suivant de Sylvain Desclous, d’autant que Le système Victoria est adapté d’un roman à la bonne réputation d’Éric Reinhardt (qui s’est lui-même chargé de cette adaptation, d’ailleurs, ce qui était également rassurant). La présence des excellents Jeanne Balibar et Damien Bonnard au générique représentait la cerise au sommet d’un gâteau bien appétissant.
La déception en est d’autant plus sévère : cette histoire complexe de la construction difficile d’une nouvelle tour à la Défense, où l’on voit le Chef de Chantier (Bonnard, donc, crédible comme toujours) luttant pour respecter des délais impossibles, tout en tombant amoureux d’une femme mystérieuse, Victoria (Balibar), qui l’entraîne dans sa double vie trouble, commence plutôt bien, c’est vrai. Mais au bout de quarante-cinq minutes, le spectateur se surprend à ne plus en avoir grand chose à faire des épreuves traversées par le « héros » du film, et à s’ennuyer sévèrement devant une succession de scènes à la fois vides de sens et tentant, non sans prétention, de créer un malaise, qui, de fait, ne survient jamais. Jusqu’au twist final, sympathique même si on l’attendait, et une conclusion peu convaincante.
Le système Victoria est en fait l’assemblage maladroit de deux films différents, chacun présentant a priori un certain intérêt, qui ne se rencontrent jamais, du fait d’un ensemble d’erreurs et de maladresses assez grossières. D’un côté, il y a la vie quotidienne de l’équipe d’un chantier colossal à La Défense, soumise à de multiples pressions : les inévitables difficultés techniques de l’exécution dans la pratique d’un projet architectural ambitieux mais peu réaliste, le tout planifié en débit du bon sens, les exigences infernales d’un promoteur indifférent aux efforts déployés par les « bâtisseurs » et cherchant avant tout à éviter de payer des pénalités de retard astronomiques, et enfin le jeu trouble joué par les propriétaires de la tour, toujours à la recherche de locataires. Pour nous, cette histoire n’avait besoin de rien d’autre pour être passionnante : montrer des gens au travail, de manière réaliste, en filmant au plus près leurs défis quotidiens, fait toujours du cinéma formidable (comme Godard l’annonçait déjà dans les années 80 !). Le fait que le scénario, maladroit, du film ne montre jamais ce que doivent réellement faire les équipes du chantier pour résoudre cette impossible quadrature du cercle entre un travail de qualité et la pression du temps, désamorce tout réel suspense et tout intérêt : on n’est pas loin de ce qui est même dénoncé dans les dialogues, c’est-à-dire une croyance quasiment magique dans les vertus du commandement et des décisions des chefs. Un comble !
Mais c’est surtout le second volet du film qui s’avère littéralement catastrophique : cette histoire d’amour, basée sur une fascination du « héros » pour le pouvoir de l’autre, qui finit par s’orienter, avec une maladresse risible, sur le terrain magnifiquement arpenté par Kubrick dans son Eyes Wide Shut, est désastreuse. L’absence totale d’alchimie entre Bonnard et Balibar, et le jeu inconsistant de cette dernière, qui ne sait visiblement pas comment habiter son personnage caricatural, réduisent les nombreuses scènes « sensuelles » à une pantalonnade pitoyable. Une souffrance pour le spectateur.
Bref, Desclous vient de nous livrer un film irregardable, et de louper une marche dans l’escalier de sa carrière, avant de se vautrer pitoyablement sur le palier.
Eric Debarnot