Daniel Kehlmann excelle toujours lorsqu’il se lance dans une biographie romancée, exofiction pour les puristes. Il ne déroge pas à la règle avec celle-ci, consacrée au cinéaste George Wilhem Pabst.

George Wilhem Pabst fut un des plus grands réalisateurs du cinéma aphone dans lequel les acteurs ne surjouaient pas du tout… Il révéla Garbo (La rue sans joie) et Louise Brooks (Loulou qui prouva que la coupe au bol pouvait aller à une tête), son Crush en noir et blanc. À part pour les insomniaques de feu le « Cinéma de Minuit » et de mes nuits, avec la voix duce et Lexomiliante de Patrick Brion, la référence date un peu. Mais Pabst, à son époque, était aussi connu que Fritz Lang (M le Maudit) ou Murnau (Nosferatu aux dents longues).
Après un tournage en France (Don quichotte), Pabst file à Hollywood, mais s’il avait déjà eu du mal à donner de la voix après le passage au parlant, les producteurs américains lui imposent de tourner un film qui va être un bide retentissant.
Humilié et rejeté par le tonton Sam, Pabst, sa femme et son fils rentrent dans son Autriche Natale, au chevet de la mère du cinéaste. Pas de bol, la seconde guerre mondiale éclate et il se retrouve bloqué par le régime nazi et tyrannisé par le couple qui entretient la demeure familiale. Pabst est un maître du 7ème art mais, en dehors d’un plateau de tournage, il affiche un caractère soumis et servile. Goebbels va imposer à Pabst de réaliser des films pris dans la toile du Reich. « Pabst le Rouge », consentant, prend des couleurs plus sombres, abandonne sa patte expressionniste pour galvaniser les bons à rien. Il n’y avait pas que les salles qui étaient obscures. Pabst va s’accommoder du Régime et réaliser un Parcelse (1943), grande figure germanique, tous schuss dans l’Anschluss.
Daniel Kehlmann excelle toujours lorsqu’il se lance dans une biographie romancée, exofiction pour les puristes. Je n’ai pas oublié « Les arpenteurs du Monde » qui mettait en scène le grand explorateur Alexander von Humboldt et l’astronome matheux Carl Friedrich Gauss.
Kehlmann se permet toutes les audaces et multiplient les chapitres comme les séquences d’un film avec des scènes truffées de dialogues et aucune intrusion dans la psychologie de son héros. Aucun paragraphe ne donne la parole à la voix intérieure de son personnage. Il n’est question que de comportements. Pour chasser les T dans Télérama et faire mon intéressant, je lâche le terme pioché dans mon « Psychologie pour les nuls » : béhaviorisme.
Les échanges avec Garbo et Brooks sont construits comme des pastiches de vieux films noirs avec des vamps sur le retour. L’auteur ajoute aussi un fils (Jakob) attiré par les jeunesses hitlériennes alors que Pabst n’a pas eu d’enfant et il décrit un tournage déliquescent en pleine insurrection à Prague avec des déportés obligés à jouer les figurants et un film disparu. Ce seul passage mérite à lui tout seul un détour par ce livre.
Un roman aussi visuel que vivant, un peu bavard parfois, Echenozien dans sa construction, ce qui est un peu logique puisqu’il est de question de cinéma.
Ça ne tourne pas très rond ! Tchi tcha.
Olivier de Bouty