Dax Riggs – 7 Songs for Spiders : Combien la nuit fut longue

C’est pour nous une joie et un honneur absolu de relayer la résurrection musicale de Dax Riggs, l’une des plus belles voix de la musique américaine, après quinze ans de silence discographique. 7 Songs For Spiders intègre instantanément notre top albums de l’année en cours.

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© Bright Shadow

En moins d’une centaine de jours, 2025 a connu un trafic significatif. Il y a des retours dont on se serait passés et des départs qu’on aurait aimé différer. Trump est revenu, Lynch est parti pour de bon et l’on a de bonnes raisons de craindre ce que l’Amérique nous réserve. Heureusement, on célèbre un autre retour, de ceux que l’on espérait plus, comme un spectre régurgité par les sables mouvants des quinze dernières années. Quand, à l’été 2010, Dax Riggs avait livré Say Goodnight to the World, on ne pensait pas que son titre gagnerait, rétrospectivement, un goût de menace mise à exécution. Quinze putains d’années, au cours desquelles la perspective de pouvoir sérieusement aligner les mots nouvel, album, Dax et Riggs avait pris des allures de fantasme pur.

Dax David Riggs impressionne par sa constance en dépit des coups du sort. Déjà avec Acid Bath, son premier groupe, dont le métal-punk furieux avait donné deux albums devenus cultes, avant que le décès de leur bassiste ne mette fin à l’aventure. Le projet suivant, Agents of Oblivion, avec son comparse guitariste Mike Sanchez, sera splitté après une sortie éponyme sur laquelle Dax raffine son chant. Fréquemment comparé à Layne Staley pour les contorsions ténébreuses de son phrasé ou à Roky Erickson pour son imaginaire psyché-goth, l’intéressé se revendique d’Iggy Pop et entreprend d’alléger la métallurgie de son pedigree. À l’orée des années 2000, hésitant entre nouveau groupe et projet solo, il coupe la poire en deux. Littéralement. Deadboy & The Elephantmen sera un duo guitare/batterie que la presse comparera évidemment aux White Stripes, même si leur imagerie nourrie de southern gothic n’y ressemble guère. Après deux albums, le projet tourne avec Wolfmother et les Eagles of Death Metal, puis part à la casse. 2007 est l’année d’un premier opus solo, We Sing of Only Blood or Love, parfaite porte d’entrée pour l’auditeur novice. Garage grunge grimaçant (Demon Tied To A Chair In My Brain), folk rock gothique (Night Is The Notion), blues grindhouse (Dog-Headed Whore), psychédélisme hanté (Dethbryte)… Tout fonctionne. En 2010, donc, Say Goodnight To The World reconduisait l’exploit en une formule plus dense. Moins de chansons et des compositions plus étoffées, mêlant pureté macabre (I Hear Satan, Sleeping With The Witch) et tribalisme stoogien (No One Will Be A Stranger, Let Me Be Your Cigarette) avec l’assurance qui caractérise les futurs classiques.

Et depuis ? Rien, ou presque. Des dates américaines jusqu’en 2015 et un titre de Deadboy en générique de iZombie, avant que la légende urbaine ne prenne le relai. Sur Reddit, on le disait tour à tour rangé, employé de fast-food ou à l’œuvre sur un double album imminent. On espérait, mais certains posts étaient vieux de plusieurs années au moment où on les dénichait. La nuit qui suivit Goodnight fut finalement celle que Dax chantait dans How Long The Night Was. Seul les rêveurs en connaissent la pleine mesure, et il est difficile de croire qu’elle ait pu arriver à son terme. C’est pourtant le cas depuis le mois d’octobre dernier. Les ombres automnales, faisant converger les morts vers le monde vivant à l’approche d’Halloween, apportèrent une double nouvelle aux airs de bombe pour les fans. D’une part, Acid Bath se reformerait pour une poignée de dates en 2025. De l’autre, deceiver, chanson toute neuve pour annoncer la sortie d’un album tout neuf : 7 Songs for Spiders. Hourra, Youpi, Mazel tov ! Joie, liesse, bringue, cocagne et bombance ! Gloire aux puissances des ténèbres, de n’être pas restées insensibles à nos sacrifices assidus et à la myriade de chandelles noires diligemment brûlées dans les antres les plus secrètes. Pour ne rien gâcher, ce premier extrait était fabuleux. On le sait, le retour d’un artiste après un long silence peut comporter des séquelles. Les chansons seront-elles au niveau de ce qui a précédé, et que le public a eu le temps d’apprivoiser intimement durant l’interruption ? La production sera-t-elle appauvrie, voire fauchée, si le retour a lieu via un circuit plus modeste ?

deceiver répond à ces deux questions. D’une part, la production est effectivement minimale, avec une esthétique sonore de sessions entre potes dans un garage de taille moyenne. Dès l’intro, les guitares et la basse se noient main dans la main dans un tourbillon saturé, devenant indistinguables pour le reste de l’écoute. La batterie est exsangue, plombée par une caisse claire anémique, comme bercée tout près du mur d’une crypte. MAIS. Il y a CE chant, CE phrasé. Le son de cette voix si singulière, enfin à l’œuvre sur une nouvelle composition. Laquelle est d’une grande efficacité, mariant l’espacement d’accords ouverts à la saturation d’une électricité qui s’engouffre partout. Les notes grondent, la pulsation s’éveille et la voix de Riggs nous parvient comme si une statue de pierre ouvrait les yeux pour nous interpeller. On pourrait gloser des heures sur sa façon de faire tressauter les fin de phrases comme sur le mot « burning », de viser vers le bas sur le mot « demon » ou de hurler le dernier refrain comme sous l’emprise d’un effroi Lovecraftien. C’est en l’entendant de nouveau que l’on se rend compte à quel point cette voix a manqué à notre pauvre monde, dont Dax remarque justement le délabrement, qui n’a fait que s’accélérer durant son absence. L’imagerie funèbre du texte est à peine en-dessous de nos actualités du moment. Transposé dans la langue de Suzanne Belperron, le premier couplet donne quelque chose de ce genre :

Des particules dansent, le vieux monde brûle. Au téléphone d’une prison, la Mort sourit comme jamais. Elle dit « peut-être suis-je un démon, mais tu ne me vois pas. » Et je répondis « peut-être connais-tu Jésus, mais je n’y crois pas ». M’allongeant dans le cercueil, j’en fermai le couvercle. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait, mais je l’ai fait. Je ne sais où je prends fin et où commencent les ténèbres.

Interrogé sur la gestation de ce nouvel album, Riggs dit s’être « rendu compte que la fin du monde arrivait ». Sur Seven Songs For Spiders, chaque sourire est une grimace. Avec son mellotron, ses accords mineurs et sa superbe mélodie vocale, Sunshine Felt the Darkness Smile est un nouveau tour de force chanté, à ranger quelque part entre Mark Lanegan et Jeffrey Lee Pierce (rappelons que le second fut le mentor du premier). L’électricité stridente reprend la main sur Even The Stars Fall, où la cadence s’accélère sans alléger l’atmosphère, tel un zombie menaçant de sprinter au ralenti vers la cervelle la plus proche. Blues For You Know Who et Ain’t That Darkness sont à la fois gothique et spartiates, grandioses et efflanqués, dans un registre proche de PJ Harvey période To Bring You My Love. Pagan Moon en rajoute une couche en tournant presque uniquement autour d’un accord, sur lequel la voix de Riggs alterne caresses et lacérations jusqu’à les confondre. En conclusion, Graveyard Soul est âpre à souhait. La section rythmique brise des fémurs, les guitares répondent coup pour coup et tout cela est à nouveau foutrement bien chanté, avec un texte qui confirme ce que l’on pouvait suspecter. À l’aube de la cinquantaine, Dax Riggs est moins curieux de l’âge d’une âme que du cimetière qui lui sert de territoire. Maintenant qu’il est officiellement de retour dans notre monde, on espère le recroiser très vite au détour de la pierre tombale de quelqu’un d’autre. Le plus tôt sera toujours le mieux, mais nous saurons patienter si le (mauvais) sort l’exige.

Mattias Frances

Dax Riggs – 7 Songs For Spiders
Label : Bright Shadow/ Fat Possum
Sortie : 24 janvier 2025

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