Hitchcock affirmait que ce qui compte n’est pas le sujet mais son traitement. Il n’empêche, le sujet du livre de Didier Balducci ne fait pas envie. Mais le pari d’évoquer un morceau faisant désormais partie du domaine public (Satisfaction des Stones) est assez bien tenu.
Pourquoi écrire sur Satisfaction en 2025 ? Le morceau signature des Rolling Stones est depuis longtemps une pièce de Musée, comme Guernica ou la Joconde. Mais Didier Balducci s’en tire bien : en évoquant sa propre découverte du disque il réussit à faire miroir avec mon propre vécu d’amateur de Rock ayant grandi en province. Grandir dans un univers ne prédisposant pas à être au fait de l’actualité rock. Découvrir le disque qui change sa vie des années après la bataille. Même si pour moi avec Louder than bombs c’était deux ans seulement après la séparation des Mancuniens tandis que Balducci découvrit Satisfaction au début des années 1970.
Ma différence est que Balducci suppose que, s’il avait pu faire connaissance des New York Dolls en temps et en heure, ces derniers auraient peut-être joué pour lui le rôle des Stones. Pas la même chose me concernant. Si les Dolls pouvaient sembler en 1973 des repreneurs de flambeau stonien remettant leur héritage à la page, pas l’ombre d’un prétendant à la succession des Smiths à la surface de la terre en 1989. Parmi les groupes alors connus… et non connus de moi.
Autre lien personnel avec la démarche de Balducci : connecter le Rock et le cinoche aussi, l’autre disque important de Balduccci étant L’Homme à l’harmonica (en suggérant que les Stones auraient des dégaines de cow boys; j’ajouterais : de hors la loi). Et remarquer que deux des plus gros tubes des années 1960 partageaient la pédale Fuzz. Un effet ensuite relié par l’auteur à un autre génial cri de rage des années 1960, celui du premier album des Stooges. Cette connexion entre un élément technique et l’impact d’un morceau (le sustain de With or without you) est quelque chose d’aussi courant que de souvent oublié.
Le reste est plus attendu mais plaisant à lire. Oui, tous les guitaristes de rock sont un peu rayon allure les descendants de Keith Richards : se reporter à des photos de Johnny Thunders, Joe Perry, Johnny Marr… Oui, le charme des classiques rock est souvent lié à une part de mystère des textes. Oui, la découverte d’un disque est inséparable d’un rapport fétichiste au design et au son de l’appareil sur lequel on l’a écouté pour la première fois (ici le Teppaz).
Oui, la rébellion stonienne a fasciné mais le groupe n’a jamais prétendu faire la révolution (cf. Street fighting man ici mentionné). Oui, le Rock est aussi affaire de dégaine (les Boots évoquées par Balducci). On sourit en lisant dans le chapitre consacré aux reprises du morceau que Jagger avait aimé celle de Devo.
On peut contester un wagon d’opinions de Balducci, flirtant parfois avec la brève de comptoir (son peu de considération pour les spectatrices rendues folles par l’arrivée des Fab Four…). Mais on approuve son refus de posture nostalgique lorsqu’il affirme qu’après Satisfaction le Rock n’a pas été moins bien, il a juste été différent pour le meilleur et pour le pire.
Un bouquin prouvant que, lorsque c’est bien fait, la meilleure manière de parler de quelque chose appartenant à la mémoire collective est de parler de soi pour mieux revenir à l’oeuvre.
Ordell Robbie