Ce jeudi, notre chronique Tiens écoute ça ! est consacrée à Boys Don’t Cry, le tube le plus populaire, et pourtant le plus emblématique de The Cure.
Ça sonne comme une bluette, une gentille petite douceur pop, un bonbon acidulé que tu te fous sous la langue, et que tu laisses fondre doucement. Et plus le bonbon fond, plus il pique. Plus la fine pellicule de sucre se dissout, plus l’acidité te fait plisser les yeux et martyrise tes papilles. C’est ça, Boys Don’t Cry, c’est cette sensation ! Ce sentiment de t’être fait piéger, de rouler un patin à une meuf en soirée, et te rendre compte, lorsque la lumière s’allume, que c’est ta conne de cousine. Le plaisir est bien là, mais il y a comme un arrière-goût qui te fait douter du bien fondé de ta légère érection.
Un joli petit riff de guitare légèrement saturé, des arpèges enlevés, guillerets, qui te font bouger la tête comme un con, heureux que tu es d’entendre cette mélodie innocente qui ne laisse rien présager de l’averse qui va te tomber sur les pompes. Parce que malgré cette suite d’accords entraînants, cette Pop Song inoffensive avance masquée. C’est cette frivolité adolescente qui tente de couvrir sous une fausse ingénuité les prémices d’une gravité tristement adulte. Le délicat moment où tu comprends que l’amour est fragile comme du cristal et que le cristal, dans les pognes maladroites d’un ado boutonneux, c’est en mille morceaux et au balai que tu vas ramasser ce cœur encore trop pur. Ben ouais, mon garçon ! Tu pensais qu’en te conduisant comme le dernier des cons, elle ne t’en voudrait pas ? T’as cru que t’étais le plus fort ? Et qu’est-ce qu’il te reste maintenant ? Tes yeux pour pleurer… même pas. Les garçons, ça ne pleure pas, mon con !
Lorsque les Cure déboulent dans le paysage musical de la perfide Albion en 1978, c’est un véritable champ de ruines. Le Punk a tout balayé sur son passage avant de se tirer une balle en pleine tronche, confirmant ainsi leur adage nihiliste : « No Future!”. La bande à Robert Smith cherche alors son chemin dans un premier album tâtonnant, au confluent des différents styles émergeant sur le cadavre encore chaud du Brit Punk. Boys Don’t Cry est le deuxième single du groupe, il sort au Royaume-Uni en juin 1979, avant d’être inclus dans la version américaine de leur premier album, Three Imaginary Boys. Mais la chanson ne connaîtra pas le succès escompté, il faudra attendre 1986 et le triomphe planétaire du groupe pour que la chanson ne ressorte dans une version légèrement différente, et ne devienne le tube incontournable des Anglais.
Ce petit connard, fier comme un coq, qui joue avec sa meuf comme on joue à la roulette, qui pousse le bouchon trop loin, qui se dit qu’elle lui est acquise, et qui, finalement, va se retrouver le cul dans l’eau, les roustons derrière l’oreille et les yeux plein de larmes (« Misjudged your limits / Pushed you too far / Took you for granted / I thought that you needed me more » : J’ai sous-estimé tes limites / Je t’ai poussée à bout / Je t’ai considérée comme acquise / Je pensais que tu avais plus besoin de moi), offre la peinture cruelle, mais tellement vraie, des balbutiements amoureux. C’est une ébauche, le brouillon adolescent des amours futures. Ce texte suppliant, ces mots d’excuses trop tardifs, ce premier chagrin d’amour, cette fille que tu perds par pure bêtise, presque par jeu, procède alors par dichotomie avec cette ritournelle entêtante, cet instru’ optimiste, générant par cette opposition music / lyrics, l’ironie mordante qui sous-tend la chanson.
Boys Don’t Cry s’inscrit comme la genèse de la souffrance “Curienne”, une douleur encore adolescente que Smith va décliner d’albums en albums, faisant mûrir son Rock au gré des dépressions, sondant les tréfonds de la noirceur de l’âme au son d’une Cold Wave tétanisante (la Cold Trilogy) jusqu’à une sorte d’apaisement, d’acceptation de la condition souffrante de l’homme (Disintegration).
Boys Don’t Cry, ce leitmotiv idiot que l’on répète aux garçons, parce qu’un garçon ça ne doit pas pleurer… Les Cure, par le biais de ce petit bijou Pop qui navigue entre joie et tristesse, allégresse et désespoir, ont enfin permis aux garçons de laisser rouler une larme coupable sur un sourire de façade. Et ça, c’est pas rien !
Renaud ZBN
Boys Don’t Cry – les paroles :
I would say I’m sorry
If I thought that it would change your mind
But I know that this time
I have said too much, been too unkind
(Je dirais que je suis désolé / Si je pensais que cela te ferait changer d’avis / Mais je sais que cette fois / j’en ai trop dit, j’ai été trop méchant)
[Chorus]
I try to laugh about it
Cover it all up with lies
I try to laugh about it
Hiding the tears in my eyes
‘Cause boys don’t cry
Boys don’t cry
(J’essaie d’en rire / de tout cacher avec des mensonges / J’essaie d’en rire / de cacher les larmes dans mes yeux / Parce que les garçons ne pleurent pas / Les garçons ne pleurent pas)
I would break down at your feet
And beg forgiveness, plead with you
But I know that it’s too late
And now there’s nothing I can do
(Je m’effondrerais à tes pieds / et je t’implorerais de me pardonner, de te supplier / mais je sais qu’il est trop tard / et maintenant je ne peux plus rien faire)
[Chorus]
I would tell you that I loved you
If I thought that you would stay
But I know that it’s no use
That you’ve already gone away
(Je te dirais que je t’aime / Si je pensais que tu resterais / Mais je sais que ça ne sert à rien / Que tu es déjà partie)
[Bridge]
Misjudged your limit
Pushed you too far
Took you for granted
I thought that you needed me more, more, more
(J’ai sous-estimé tes limites / Je t’ai poussée à bout / Je t’ai considérée comme acquise / Je pensais que tu avais plus besoin de moi)
[Chorus]
Boys don’t cry
(Les garçons ne pleurent pas)