« Big Machiavel » d’Henri Vernet : Un Mec-Qui-Sait

Thriller haletant, réaliste et parfaitement documenté sur le monde du conseil infiltrant tous les arcanes du pouvoir à cause de l’incompétence de nos politiques, Big Machiavel envisage le pire à nos sociétés avec l’IA aux mains des consultants cupides.

Henri Vernet 2025
© Olivier Arandel

En octobre 2023 les excellentes éditions Buchet-Chastel avaient publié McKinsey Pour le meilleur et pour le pire de Walt Bogdanich & Michael Forsythe (traduit de l’anglais par Carla Lavaste) une enquête sans concession sur le cabinet de conseil le plus influent du monde : à la fois passionnante, édifiante et consternante. Pour les oublieux nous rappellerons qu’une dizaine de consultants de ce même cabinet ont participé de façon active à la compagne d’Emmanuel Macron en 2017 sans être facturés (en pro bono) et que cette même multinationale fut à la manœuvre pendant la crise COVID pour la mise en place du plan de vaccination. Cette fois-ci Buchet-Chastel aborde le même sujet par le biais de la publication du thriller d’Henri Vernet Big Machiavel.  Osons espérer que ce dernier ouvrage, plus abordable et moins ardu, touchera et intéressera un public plus large pour le sensibiliser sur une gangrène qui sape nos sociétés. Il n’est sans doute pas utile de rappeler ce qu’est en train de mettre en œuvre Elon Musk aux Etats-Unis – à savoir – envoyer ses jeunes séides dans toutes les administrations pour faire du « cost-cutting ».

Big Machiavel-couvHenri Vernet est un journaliste spécialiste de politique, d’International et de défense, auteur d’essais et de fictions. Ne cherchez pas le style dans Big Machiavel mais plutôt une prose journalistique efficace autour d’une intrigue qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page, bref c’est un thriller. Étonnamment il n’y a aucun avertissement au début du livre qui stipule que « Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence » car les trois-quarts de ce qui y est raconté n’est que la stricte vérité certes un peu grimée pour éviter les poursuites : les cabinets de consulting sont cupides donc assez hargneux et ont de bons avocats.

Le personnage central de Big Machiavel est Quentin Marchal un jeune consultant en devenir du cabinet de consulting O’Kelney. Celui-ci est un parfait transfuge de classe : « Son père Franck, technicien supérieur à la SNCF, sa mère Corinne, éducatrice spécialisée, lui avaient inculqué, comme à sa sœur qui finissait son internat de médecine à Necker, la valeur du travail. » Bardé de son diplôme d’HEC, Quentin intègre le saint des saints pour les jeunes diplômés, soit O’Kelney une des sociétés qui pourraient faire partie – dans la réalité – des big five (McKinsey, EY, Accenture, BCG, Bain).  Arrive alors ce que certains ont vécu (et auquel il est difficile de ne pas succomber) : l’étourdissement du gros salaire, des voyages, des costumes élégants, des dîners fins, des séminaires dans des endroits de rêve, de fréquenter des gens « smart » et d’avoir son mot à dire sur la gouvernance au sein des organisations qui vous emploient… Si vous ne connaissez pas ce milieu, tout ce que décrit Henri Vernet est d’une vérité saisissante, rien n’est exagéré, si vous êtes un « initié » vous ne pourrez que vous délecter de cette description documentée au goût amer.

L’intrigue de Big Machiavel débute dans les catacombes parisiennes où un spécialiste de l’IA du cabinet O’Kelney fait face à quelques désagréments. Dans le même temps, Quentin est convoqué dans un des hauts lieux du réseautage parisien, le cercle de l’Union Interalliée, par son mentor de chez O’Kearney, Vikas Banerjee, qui lui propose d’intégrer l’équipe de campagne de la candidate à la présidentielle Amélie Pasteur : « Ancienne leader syndicale de l’Union Démocratique du Travail (UDT). Pas franchement le genre de beauté de O’Kearney. ». Ce que l’on comprend alors rapidement c’est que peu importe par qui on accède au pouvoir gouvernemental pourvu qu’on y parvienne. Amélie Pasteur s’apprête à succéder au président Marc Cardignac, clone parfait de notre président actuel. De son côté, Vikas Banerjee évoque un certain Karim Tadjeddine, consultant chez McKinsey, qui a participé à l’élection d’Emmanuel Macron. Nous suivons Quentin dans les arcanes du Château élyséen et on se retrouve dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler le Baron noir, héroïne incluse.

L’intrigue se développe également dans d’autres lieux de pouvoir comme à Rome avec Alessandra consultante et amie de Quentin, à Courchevel (mais pas à Davos ?) mais je n’en dis pas plus.

Il me sera en revanche impossible de passer sous silence Manfred von Richter dit Big M et qui donne son nom au roman. Président de O’Kelney, mégalomaniaque comme il se doit, il loue ainsi Versailles pour se marier avec son compagnon Marius.  Avant de décrire ces agapes, Henri Vernet a dû feuilleter d’anciens numéros de Paris-Match qui relatait l’anniversaire de Carlos Goshn dans ces mêmes lieux.

Moins anecdotique, la valeur cardinale qui mène le patron de O’Kelney est l’épistocratie (ou épistémocratie) « terme qui désigne un système où le pouvoir serait détenu par des savants, des experts, par ceux qui ont une véritable connaissance des sujets sur lesquels il faut prendre des décisions. ». Thèse certes séduisante sur le papier qui permet surtout d’écarter les politiques, les fonctionnaires et les corps intermédiaires du pouvoir…bref ce que prône Trump en ce moment aux États Unis avec tous les patrons des GAFA à ses cotés et tout ce que cela entraine.

Tout au long de Big Machiavel, Henri Vernet tord juste ce qu’il faut la réalité, la mainmise des grands cabinets sur nos gouvernements, les possibilités de l’IA, la technologie Neuralink de Musk, l’avidité des hommes pour l’argent, le pouvoir et nous brosse un futur scénario sociétal des plus inquiétants.

Que vous ayez fréquenté ces lieux de pouvoir, ces organisations ou que vous soyez totalement étrangers à ce monde, lisez ce livre pour toucher une réalité qu’il est parfois difficile d’imaginer et qui démontre que l’exercice du pouvoir tant convoité n’est qu’un faux nez qui cache un seul et unique travers : la cupidité.  Qui sont les plus coupables : Les cabinets de conseil ou l’incompétence de nos politiques qui nous ont conduits où nous en sommes, à savoir au bord de la démocratie ?

Éric ATTIC

Big Machiavel
Roman de Henri Vernet
Editeur : Buchet-Chastel
304 pages – 22,50€
Date de parution : 13 mars 2025

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