Après le très réussi thriller L’Horloger, l’écrivain belge Jérémie Claes reprend ses personnages fétiches pour ce polar engagé et humaniste qui dénonce sans ambages l’inaction politique face à la tragédie des migrants, ainsi que la montée des milices identitaires d’extrême-droite.

Direction la plage de Cannes-La Bocca. 42 corps de migrants s’échouent sous les yeux sidérés et horrifiés des vacanciers. L’occasion pour Solane, ex-commandant de police à la retraite et son compère Le Busard, ex-directeur de la Police nationale, de reprendre du service. Car ces migrants ne sont pas « canés naturellement, pas non plus de la manière la plus limpide qui soit. Carbonisés, selon Solane, mais avant ou après avoir pris la mer ? Il soupçonne un surplus de complexité, un machin pas évident qui va foutre le bronx dans leur organisation huilée. Des migrants brûlés. Ça chamboule le tableau propret d’un naufrage banal en Méditerranée. »
Solane va, court, vole pour venger l’injustice, la police ne semblant pas très empressée à résoudre l’affaire dans un département aux mains de l’extrême-droite, en l’occurence la jeune députée Anaïs Prigent, nièce de la patronne du Rassemblement patriotique, quitte à mettre la poussière sous le tapis sans vraiment recherchée qui a pu commettre un crime ciblé aussi spectaculaire.
Jérémie Claes y va à fond, sur un rythme dynamique, sans aucun temps mort, avec des scènes d’action particulièrement réussi comme un siège à la fort Alamo. A partir de situations réelles (le drame des migrants en Méditerranée, l’emprise des nationalismes identitaires dans les départements du Sud de la France), il pousse les curseurs au maximum avec un manichéisme assuré et assumé dans la tradition du polar engagé français. Les situations pourraient être caricaturales entre le mode opératoire pour tuer les 42 migrants et la milice de l’ultra-droite fan de Sparte, mais l’énergie déployée est tellement propulsive qu’on est embarqué.
Et puis, on se marre. Le ton est à l’humour noir, réjouissant et tranchant avec son goût pour le grotesque, un peu comme dans la série du Poulpe initié par Jean-Bernard Pouy : même flic anar, même famille recomposé au-delà des liens du sang, même importance de la bonne bouffe (même si le pinard a remplacé la bière, Jérémie Claes est également caviste, d’où de nombreuses références à la de bouteille), même gouaille dans des dialogues jubilatoires, même non recherche de subtilité. La fin est même assez jouissive dans le sort que réserve l’auteur aux personnages les plus détestables.
« Des cadavres, au long de sa carrière, il en a vu un paquet et, comme tous les flics, il s’est insensibilisé ; c’est l’instinct de préservation commun aux métiers de violence. Mais-là, ce ne sont pas que des corps, ils ont une signification : l’humanité se barre en couille. Si on laisse crever ces malheureux sans plus s’émouvoir, c’est qu’on est foutus, qu’il ne reste rien de l’espoir en l’Homme. Solane est un humaniste. S’il aimait les grands mots, c’est dans celui-là qu’il se reconnaîtrait. »
Évidemment, derrière la parodie divertissante, il y a le fond et beaucoup de coeur. Les personnages se battent pour de valeurs, que ce soit Solane et toute sa bande, notamment les petits nouveaux, alliés de circonstance : l’activiste Jasmine qui aide les migrants égarés dans la vallée de la Roya et Moussa, le survivant, qui incarne à lui seul tous les migrants, ceux qui se sont noyés et ceux qui ont survécu à la traversée mais sont pourchassés en Europe.
Marie-Laure Kirzy