Tranchant nettement par rapport au tout venant de la série TV, même de haute qualité, Nismet voit Philippe Faucon nous livrer un autre portrait très juste d’une jeune femme d’aujourd’hui, qui bénéficie pleinement d’un format plus long que ses films de cinéma.
Dès son premier long-métrage, l’Amour, datant de 1990, Philippe Faucon s’est imposé comme une figure singulière du cinéma français : observateur discret de notre réalité quotidienne, s’intéressant à ceux d’entre nous qui sont en difficulté, et plus particulièrement à la population immigrée d’Afrique du Nord (lui-même est né à Oujda, au Maroc), il a vite été remarqué pour la justesse avec laquelle il peignait des portraits de personnes ordinaires, en souffrance ou en lutte, même, pour exister dans la société française. Il lui aura fallu attendre 2015 pour voir l’un de ses films (Fatima) atteindre une reconnaissance et une visibilité qui ne se limite pas à un cercle restreint de cinéphiles… Sans qu’il ait eu à changer en rien son approche du cinéma « social », qui se situe en quelque sorte à l’opposé de celle d’un Ken Loach : chez Faucon, prévaut la juste objectivité de son regard – qui reste pourtant toujours empathique vis à vis de ses personnages -, sans que le scénario ne cherche jamais à manipuler les émotions ou les convictions du spectateur. Cela surprend initialement ceux qui sont habitués à un cinéma social « spectaculaire », mais, pour peu que l’on soit patient et que l’on accorde son attention à ses films, la récompense est là.
Nismet, adaptation de faits réels, avec un casting d’acteurs et d’amateurs, et filmé toujours à la bonne distance de faits parfois dramatiques, est moins une courte série (4 épisodes de 40 minutes), qu’un long film, tant il reprend les caractéristiques habituelles du cinéma de Faucon. Nismet est une jeune fille pas encore majeure qui doit fuir le foyer familial pour échapper aux violences de son beau-père, prédateur sexuel particulièrement cruel et manipulateur, qui maintient sa mère, prostituée, dans un état d’emprise révoltant. La série va l’accompagner, avec douceur mais avec précision, dans son trajet vers la maturité et l’indépendance, en évitant aussi bien les écueils du mélodrame tire-larmes que ceux du misérabilisme convenu, en particulier quand Nismet décide de gagner sa vie comme stripteaseuse, tout en travaillant la journée en EHPAD à prendre soin de personnes âgées.
Choisissant un rythme de narration « serein », minimisant la dramatisation de situations déjà « lourdes » par elles-mêmes, Nismet fonctionne par la grâce d’une direction d’acteurs assurée – veillant à une juste sobriété dans l’expression des émotions, même lors des scènes les plus tendues, voire violentes avec le beau-père – et d’une parfaite justesse du regard porté par la caméra. Sans chercher à « romantiser » le sordide de certaines situations dans lesquelles Nismet garde toujours la tête haute, sans dissimuler certaines dérives de son héroïne à la fois si moderne et si ordinaire, mais en reconnaissant l’importance qu’ont revêtu les rencontres de « gens biens » dans sa vie, Faucon garde le cap de son projet jusqu’au bout.
Jusqu’à ce que le spectateur sente qu’il peut laisser Nismet partir, continuer sa vie loin de nos regards : si Nismet est sauvée, c’est qu’elle s’est sauvée elle-même.
Eric Debarnot