Edwyn Collins – Nation Shall Speak Unto Nation : un artiste « augmenté »

Alors qu’il va s’embarquer dans ce qui est annoncé comme sa dernière tournée dans le Royaume-Uni, Edwyn Collins publie son nouvel album, Nation Shall Speak Unto Nation, qui prouve que, en dépit des défis posés par sa condition physique, son talent reste intact. Attention : très haut niveau d’émotion…

Edwyn Collins 2025
Photo : Edwyn Collins – Fenella Lorimar

« If I can talk to you, and you can talk to me, how can nation speak unto nation? » : voila question, simple, essentielle, que pose au monde Edwyn Collins dans son 10ème album « solo », plus exactement dans la chanson Nation Shall Speak Unto Nation (une ancienne devise de la BBC) qui lui a donné son titre : lui, miraculé au sens plein de deux hémorragies cérébrales foudroyantes datant désormais d’il y a 20 ans, qui a réussi à récupérer en dépit de graves séquelles physiques, et sa voix – pour chanter, moins pour parler – et sa capacité à composer des chansons. Non, pas des chansons, de grandes chansons !

Nation Shall Speak

Non pas que le sentiment d’émerveillement qui nous envahit régulièrement à l’écoute des onze formidables chansons qui composent ce nouveau disque soit une surprise. En fait, les quatre albums enregistrés à partir de 2007, à partir de sa sortie du long tunnel de convalescence, ont été tous remarquables. On oserait même affirmer, meilleurs, car plus humains, plus bouleversants, que certains de ses cinq albums sortis entre 1989 et 2005 : lui-même a expliqué qu’il avait trouvé, dans l’épreuve qu’il a vécue, et du fait aussi de son combat contre l’aphasie qui s’installait, une profonde sérénité. Une nouvelle approche de la vie, plus riche, loin évidemment de la folie « rock’n’roll » de ses jeunes années. Et cela se sent dans ces – désormais cinq – albums d’Edwyn Collins « Ver 2.0 ». Non pas un homme diminué, mais un artiste « augmenté ».

Comme toujours (avant et après l’accident), ses chansons sont toujours élégamment construites, très fluides du point de vue mélodique : les refrains sont régulièrement délicats, et Edwyn est un magicien des « ponts » au milieu d’une chanson, qui en redéfinissent la perspective. Des chansons qui, même si elles lui sont toujours immédiatement attribuables – il y a cette voix, moins maîtrisée désormais, mais pas moins remarquable -, ont à chaque fois de petites touches inattendues, qui les rends différentes, singulières. Et les deux phrases qui précèdent peuvent être réutilisées à chaque album de Collins depuis 2007, ce qui est le contraire d’un reproche de notre part… Mais entrons un peu dans les détails de ce Nation Shall Speak Unto Nation, enregistré dans le home studio d’Edwyn, chez lui à Helmsdale, dans les Highlands.

« The more I know of this old world / I don’t feel safe, I don’t have faith / Knowledge is a friend of mine / First was lost and now it’s found » (Plus j’en sais sur ce vieux monde / Moins je me sens en sécurité, moins j’ai la foi / La connaissance est une amie à moi / D’abord perdue, maintenant retrouvée) : l’ouverture sur Knowledge, pas forcément la chanson la plus « tubesque » – même s’il faut reconnaître qu’au bout de trois ou quatre écoutes, la mélodie accroche -, indique l’importance du message qu’envoie au monde le désormais « vieux et sage » Edwyn (une expression qui le ferait rire, on est sûr, lui qui dans la même chanson, dit qu’il a du mal à abandonner ce qu’il était, jeune – « Hard to let my old self go« ). La connaissance, le savoir est la solution dans un monde qui va mal. Politique, Edwyn ? Peut-être, dans le contexte actuel, mais en tout cas parlant comme un « honnête homme ». Les quatre minutes du suave, mais surtout heureux et lumineux Paper Planes indiquent la voie de la sérénité pour lui, la contemplation émerveillée de choses simples, comme le vol de petits avions en papier. The Heart Is a Foolish Little Thing est le titre le plus énergique d’un album qui est plutôt mid-tempo : la guitare électrique prend le dessus, la batterie est lourde, le chant de A Girl Like You est à l’ordre du jour, sans doute parce que la chanson revient sur les peines de cœur et les douloureuses difficultés amoureuses. « I was in love / An image of a girl I once knew / I wanted everything / The foolish little things, a prophecy come true / I carried fear, awash with doubt and pain / I’m overwhelmed, the blackness comes again » (J’étais amoureux / L’image d’une fille que j’ai connue / Je voulais tout / Les petites choses stupides, une prophétie devenue réalité / Je portais la peur, inondé de doute et de douleur / Je suis submergé, la noirceur revient). Efficace, mais finalement un tantinet décalé par rapport à la sagesse de l’album.

The Mountains are My Home est la première très grande chanson du disque : mélodie parfaite, voix qui prend des risques en montant, atmosphère country inattendue, Collins nous touche en plein cœur. Strange Old World est exactement l’inverse, un titre ludique, avec des sonorités électroniques sur un rythme « primitif », et puis un saxophone. Evidemment le solo de guitare au centre du morceau n’est pas d’Edwyn, qui ne peut plus jouer de son instrument favori, mais adopte son style. Nation Shall Speak Unto Nation est du très, très grand Edwyn Collins, et aurait parfaitement figurer sur Gorgeous George, son album le plus expansif, le plus accueillant : un morceau majeur dans la discographie de l’Ecossais.

Sound As A Pound est un autre exemple du savoir faire intouché d’Edwyns, peut-être un peu trop dans ce qui était autrefois sa zone de confort. Et paradoxalement, alors qu’on est maintenant sur la seconde face de l’album, là où la plupart des artistes relèguent les titres plus secondaires, nous entrons dans la partie la plus émouvante de Nation Shall Speak Unto Nation. D’abord l’élégiaque The Bridge Hotel, où même le pipeau un peu folklorique qui intervient au milieu ne gâche pas la splendeur du morceau. Et quand Edwyn lance le final éclairé de voix soul (« At the Bridge Hotel in Helmsdale ») comment ne pas sentir son cœur se gonfler de tant de beauté ?

On enchaîne avec le puissant A Little Sign, un autre sommet de l’album… La voix d’Edwyn monte et descend, lutte contre la gravité, le xylophone ajoute de la légèreté : tout ça est d’une intelligence remarquable dans sa construction, et pourtant nous est offert avec un enthousiasme tout simple qui transcende la chanson. It Must Be Real est une autre ballade « classique », une belle chanson d’amour, pleine de tendresse, qui sait pourtant se transcender avec son court refrain intense (« It must be real / No more lies » – ça doit être vrai, plus de mensonges). Et on finit avec un Rhythm Is My Own World acoustique, clairement bossa nova dans sa forme, et plus encore dans son esprit, même s’il est posé sur un beat électronique : il s’agit, pour conclure, de célébrer le rôle de la musique dans la construction d’une existence satisfaisante, bien remplie. Magnifique, tout simplement.

Si la tournée qui démarre est sa dernière, il semble bien que Nation Shall Speak Unto Nation ne sera pas le dernier disque d’Edwyn Collins : tant mieux, nous, on signe pour encore 20 ans de plus !

Eric Debarnot

Edwyn Collins – Nation Shall Speak Unto Nation
Label : Edwyn Collins
Date de sortie : 14 mars 2025

 

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