Adolescence donne trop souvent l’impression de ne rester qu’à la surface de son propos. De ne pas approfondir sa réflexion autour d’une masculinité toxique et d’une jeunesse en mal de repères moraux et générationnels, toute obnubilée qu’elle est à parfaire ses plans-séquences qui, faut-il le rappeler, n’ont jamais été un gage de qualité.

Elle s’appelait Katie. Il s’appelle Jamie. Il a 13 ans et il a tué Katie, cette jeune fille de son collège, de plusieurs coups de couteaux. Cela est révélé et acté à la fin du premier épisode, l’objectif de la série n’étant clairement pas de savoir si Jamie est coupable ou non. Que s’est-il donc passé pour qu’il en arrive là, à commettre l’irréparable ? Quel a été son « mobile », et d’où celui-ci a-t-il pris racine ? Et quelles vont être les répercussions de son crime pour lui et pour ses proches ? En quatre épisodes d’environ une heure, tourné chacun en un seul plan-séquence, la série Adolescence entend explorer les gouffres de la jeunesse d’aujourd’hui, comme en perte de repères moraux et générationnels, et soumise à l’impact permanent des réseaux sociaux avec harcèlements, violences numériques, culture incel et masculinité toxique.
La critique, unanimement, s’est emballée (effet plan-séquence ?) pour la série de Jack Thorne et Stephen Graham, sans pourtant en relever les défauts. Sur différentes temporalités (du lendemain du meurtre à plus d’un an après les évènements) et dans différents lieux (un commissariat, un collège, un centre fermé pour mineurs, le quotidien de la famille de Jamie), le récit déploie les points de vue et les questionnements autour des causes (et des conséquences) de l’acte meurtrier perpétré par Jamie. Mais la série donne l’impression de ne rester qu’à la surface de son propos, de ne pas approfondir sa réflexion qui n’ira pas plus loin que quelques tirades sur une idéologie masculiniste nocive, la vision un rien réductrice d’un collège transformé en une espèce de no go zone et des parents qui, dans les toutes dernières minutes, se demanderont s’ils ont été de bons parents, ce qu’ils auraient pu faire pour empêcher un tel crime (avec un petit côté tire-larmes assez déplaisant donné à la scène), puisque toute obnubilée qu’elle est à parfaire chaque plan-séquence.
L’emploi de celui-ci va maintes fois révéler ses limites, et c’est plus que flagrant lors de l’épisode 3 où la caméra se contente de tourner autour de deux personnages assis l’un en face de l’autre, s’approchant parfois de leur visage, puis se remettant à tourner autour d’eux, puis s’approchant de nouveau, etc. Toute la tension et toute la dramaturgie du dialogue qui s’instaure entre Jamie et une psychologue sont, de fait, constamment désamorcées par cette mise en scène sans intérêt, prise à son propre piège de ne vouloir filmer qu’en un seul plan (la même chose se produira lors de l’épisode 4 avec son interminable aller-retour en van).
Il faudrait quand même rappeler que le plan-séquence n’a jamais été un gage de qualité. Qu’il ne fait pas tout. Hitchcock, qui l’utilisa dans La corde, affirma des années plus tard qu’il ne le considérait, in fine, que comme « un truc » entravant les possibilités du montage pour, par son art et sa maîtrise, raconter visuellement une histoire. Au demeurant, certains films tournés en plans-séquences sont des réussites ou, du moins, des bons films (L’arche russe, Enter the void, Utøya, 22 juillet, 1917…). Comme quoi, y’a pas de règles. À l’instar des laborieux Birdman et Victoria, Adolescence souffre de nombreux passages à vide où il ne se passe rien d’intéressant, et parce que l’utilisation du temps réel implique forcément ces instants en creux qu’il faut meubler faute de mieux.
Enfin, autre point noir, la victime de Jamie, Katie, est totalement invisibilisée durant les quatre épisodes, et le dernier, au lieu de se concentrer sur la famille de Jamie, plus d’un an après les faits et dans l’attente de son jugement, aurait pu (aurait dû ?) se focaliser sur elle (en un épisode flashback par exemple) ou sur sa famille à l’épreuve du deuil ou se préparant pour le procès. En l’état donc, Adolescence n’est qu’un exercice de style hyper chiadé (là-dessus, il sera difficile de trouver à redire ; idem pour l’ensemble du casting donnant tout ce qu’il a) qui manque de substance. Qui perd, dès son deuxième épisode, en intensité et en singularité. Et sans doute qu’un ou deux épisodes supplémentaires fussent nécessaires (pourquoi pas un épisode montrant Jamie, adulte, sortant de prison ?) pour arriver à saisir toute la complexité d’un drame dont l’horreur s’ancre en plein dans notre époque déréglée.
Michaël Pigé
Je viens de terminer cette série et je suis en total désaccord avec vous, Michaël Pigé.
Vous dites : « Adolescence souffre de nombreux passages à vide où il ne se passe rien d’intéressant, et parce que l’utilisation du temps réel implique forcément ces instants en creux qu’il faut meubler faute de mieux. »
Or, c’est tout l’intérêt, l’un des multiples de cette série devrais-je dire. Le plan séquence ici ne fait que rendre tangible ce théâtre, car, c’est pour les acteurs une performance théâtrale au plus près avant tout. Le travelling, on s’en fout, on est dans leur temporalité en premier lieu, la situation spatiale est plus que secondaire. C’est un théâtre de la vie ordinaire, prise dans un événement qui ne l’est pas. Les temps morts sont donc parfaitement justifiés et pour le moins dosés, on ne nous emmène pas patienter une heure entière dans la salle d’attente des urgences, par exemple ou poireauter à la caisse du magasin de bricolage.
Autre point de total désaccord. Vous dites : « Enfin, autre point noir, la victime de Jamie, Katie, est totalement invisibilisée durant les quatre épisodes, et le dernier, au lieu de se concentrer sur la famille de Jamie, plus d’un an après les faits et dans l’attente de son jugement, aurait pu (aurait dû ?) se focaliser sur elle (en un épisode flashback par exemple) ou sur sa famille à l’épreuve du deuil ou se préparant pour le procès. »
Or, c’est justement tout l’intérêt (bis) de la série, ne pas prendre la perspective convenue et donc attendue des parents de la victime, mais bien le contre-pied, celle de la famille du coupable pour montrer leur détresse, qui n’est pas à négliger non plus. Une perspective qui va à l’encontre des attendues bien réactionnaires, qui ne veulent prendre en considération que la souffrance des proches de la victime, niant au passage que ce sont deux groupes familiaux qui sont ici réduits à néant par le même geste. Le hors-champ de la famille de la victime ne pose aucun problème, car, d’une part, nous nous sommes déjà mis mille fois à leur place et d’autre part que nous l’avons constamment en tête, puisque c’est cette même conscience de ce qu’ils traversent qui taraude les parents du coupable.
Enfin, dernier point avec lequel je suis de nouveau en désaccord, vous dites : « pour arriver à saisir toute la complexité d’un drame dont l’horreur s’ancre en plein dans notre époque déréglée. »
Or, en déclarant cela, vous passez carrément à côté du propos et autre intérêt (ter) de la série. La situation est à ce point complexe, que non, il est vain d’espérer saisir toute la complexité, ni sur le moment, ni sept mois plus tard, ni treize, ni comme vous le souhaitez, bien plus tard encore. Ce type de crime ne fait pas sens, il survient, c’est là toute son horreur, et penser qu’on pourrait s’en protéger en saisissant toute sa complexité, c’est partir d’une vision de l’existence pour le coup, des plus artificielles… bien plus qu’un art du travelling.