Second roman étrange de Chloé Ashby, minutieux et précis, qui nous raconte les choix d’une femme face à la pression des autres, face à la maladie et face à la mort. Comment avoir 35 ans à Londres, restaurer des tableaux anciens, et gérer des choix existentiels ?

Noah et Cathy s’aiment d’amour, de cet amour qui vous fait pétiller le regard quand vous êtes invité à manger à votre restaurant Italien préféré pour votre anniversaire. Ils s’aiment et se sont mariés. Un engagement que Noah a pris à une condition : ne jamais avoir d’enfants. Cathy a accepté : à 25 ans, cela semblait raisonnable ; 10 ans plus tard, pourtant, c’est-à-dire quand le roman débute, c’est moins clair. Pour elle, en tout cas. Attendre, laisser le temps passer, n’est pas sans risque pour une femme. La pression sociale aussi, cette idée qu’on ne peut pas former une famille sans enfants, la fait douter. Que se passerait-il si Noah et elle changeaient d’avis ? Ils ne pourraient plus revenir en arrière. Elle veut se laisser le choix, s’ouvrir une porte. Elle décide de faire congeler ses ovocytes.
Pour légitime que cela puisse paraître du point de vue de Cathy, cette décision fait dangereusement vaciller sa relation avec Noah, dont la conviction, la volonté de ne pas avoir d’enfants n’a pas changé. La pression des autres le laisse indifférent. Peut-être aussi a-t-il trouvé un substitut dans son métier, que Cathy n’a pas. Enseignant chercheur, il est non seulement en contact permanent avec des étudiants, qu’il aide à grandir et à mûrir – qu’il éduque en quelque sorte (comme des enfants ?) –, mais aussi écrit des articles et livres – il donne naissance à des idées. De son côté, Cathy est restauratrice de tableaux. Le parallèle, qui semble fait entre donner la vie et restaurer un tableau, n’existe pas vraiment : restaurer signifie redonner vie à quelque chose qui existait déjà, mais pas faire naître quelque chose de nouveau. La restauration que Cathy réalise, décrite avec soin et passion dans le roman, ne peut pas satisfaire son désir de maternité, et ne peut pas l’arrêter dans sa démarche. Elle ira jusqu’au bout. Au risque que Noah ne la quitte ? C’est ce qu’on saura à la fin de l’épilogue.
Le roman se déroule entre le moment où Cathy commence à s’enfoncer dans le brouillard et le moment où ce brouillard se dissipe et se termine par cette phrase : « Je vois clair à présent ». Chloé Ashby raconte ce trajet du brouillard à la lumière, comment les hésitations de Cathy prennent de l’importance, comment Noah réagit, à la fois très mal et bien, comment les naissances et les décès autour d’elle la font de plus en plus hésiter jusqu’à la révélation. Elle nous parle des choix de cette femme, des relations avec les autres. Elle parle aussi de peinture (ce qui est tout sauf étonnant). Chloé Ashby nous raconte tout ça de manière très précise, avec une foule de petits détails, un peu trop peut-être, avec un côté « première gorgée de bière » (peut-être justement pour nous rappeler que le bonheur peut se cacher dans les détails). Elle nous parle de ce que signifie avoir un beau métier. Elle multiplie les questionnements, sur le sens de la vie et aussi, beaucoup, de la mort. Finalement, Repentirs est un roman assez sombre. Entre les enfants mort-nés (de Cathy, Noah, de la meilleure amie de Cathy) et les parents décédés (de Noah et de Cathy), il y a en effet plus de morts que de naissances dans Repentirs. Et puis il y a la maladie. Cathy ne doit pas seulement affronter ses choix existentiels, la froideur de Noah. Elle doit aussi s’occupe de sa mère qui est atteinte de démence sénile (causée par un Alzheimer). Une histoire complexe, racontée avec beaucoup de simplicité.
Alain Marciano