Ce jeudi, notre chronique Tiens écoute ça ! est consacrée à Nutbush City Limits, la dernière grande œuvre du couple Ike & Tina Turner avant leur explosion !

Dans la banlieue de Los Angeles, le couple Turner vit dans un appartement digne d’un film de Tarentino. Dans le salon, le canapé en velours bleu présente des accoudoirs dessinant une pieuvre, devant une table basse en forme de guitare. La chambre à coucher dispose bien évidemment de son miroir au plafond. Dans son studio personnel, Ike taquine des armes à feu devant la console, histoire de passer le temps. Son Bolic Sound devient aussi un véritable bordel – dixit Tina – au nombre des rivales qui défilent à la chaine. De son vrai nom, Anna Mae Bullock s’occupe des enfants, ses deux garçons à elle, et ceux de son mari…
Mariée à 17 ans, Tina comprit vite l’arnaque du prince charmant, plutôt du genre sale mac. La nuit de noces au Mexique avait annoncé la couleur à la jeune fille, encore un brin naïve : pas de robe blanche, un vague formulaire signé sur une table et une visite au claque local. Sous emprise, Anna encaisse les coups d’un bonhomme alcoolique et cocaïnomane. « C’était comme vivre dans le royaume de l’enfer » confia plus tard la chanteuse, des années après son divorce. Dernier clou du cercueil, Tina se ruine la santé à force de chanter tous les soirs, sans oublier une tentative de suicide pour fuir la prison conjugale. On fait plus glamour.
Sur scène, le couple assure le show avec de chouettes chansons, comme la superbe River Deep Mountain High, et d’efficaces reprises des Beatles (Come Together), de Creedence (Proud Mary) et aussi des Stones (Honky Tonk Woman). Musicien très affuté, Ike se frotte au rock depuis des années : « j’ai lu dans un journal que nous étions un show Rythm and Blues. Je trouve ça vraiment énervant. J’essaie de faire un mélange entre mes cuivres et le son rock d’un petit groupe. » Quand Ike et Tina assurent la première partie des Stones, Mick Jagger tombe sous le charme de ce Little Richard au féminin qui accroche vraiment le public. Dans les coulisses, avec ses choristes perruquées, Tina apprend quelques pas de danse à Mick, qu’elle trouve vraiment trop maladroit, pendant que son mari échange avec Keith Richards leurs secrets de sorciers à cordes. Fidèle à sa réputation, Jagger n’oubliera pas de lutiner une Ikette au passage…
Au début des seventies, Tina compose une chanson sur Nutbush, son bled natal du Tennessee. City se fait bien ironique, puisqu’il s’agit d’un trou paumé au fond de la cambrousse. Anna Mae Bullock y passa son enfance à écouter de la country et du blues à la radio, à chanter à l’église et à cueillir du coton avec son père : « Le coton. Je détestais ça. C’est la seule chose qui m’a fait changer de vie. Je savais que je ne pouvais pas faire ça. » Les paroles de Nutbush City Limits annoncent donc un classique du Rythm and Blues. Toujours bien inspiré, Ike ne s’enferme pas dans le genre. Il sort alors le grand jeu sur un accord qu’il apprit du guitariste des Stones.
Brasier sorti des mains d’Ike, Nutbush City Limits crache de toutes ses flammes. Ca monte très vite en cadence pour ne plus rien lâcher en moins de trois minutes. Sur des effets imparables, deux guitares entrent dans la danse, pendant que des cuivres classieux, une basse et une batterie déroulent à l’aise… Quant aux claviers, un clavinet vibre de toutes ses cordes, avant le délire d’un synthétiseur Moog, bien barré. Et cette cloche qui sonne en touche suprême ! Lancée à fond, Tina plante le décor de sa jeunesse en quelques mots. Le feu ! On y est vraiment, tant la voix file des frissons. Sur la scène, Tina danse et déchire. Une énergie pure en force, une sensualité à fleur de peau. Du charisme à l’état brut.
Nutbush City Limits fut le dernier grand succès d’Ike et Tina Turner, atteignant la 4e place au Royaume-Uni et la 22e aux États-Unis. Pour Tina, ce fut surtout un premier pas vers sa liberté : « J’ai réussi à tout laisser derrière moi et à réaliser mon rêve d’enfant. La chanson est très personnelle ; son écriture était donc particulièrement intense et émouvante. J’y ai mis mon identité et ma vie. J’en ai toujours été fière, et même 50 ans plus tard, elle a toujours une grande signification pour moi. »
Respect.
Amaury de Lauzanne
Nutbush City Limits – les paroles :
A church house gin house
A school house outhouse
On highway number nineteen
The people keep the city clean
(Une église, une brasserie / Une école, des toilettes extérieures / Sur la route numéro 19 / Les habitants gardent la ville propre)
[Refrain]
They call it Nutbush
Oh, Nutbush
Call it Nutbush city limits
(Ils l’appellent Nutbush / Oh, Nutbush / Appelez ça les limites de la « ville » de Nutbush)
Twenty-five was the speed limit
Motorcycle not allowed in it
You go to the store on Fridays
You go to church on Sundays
(La vitesse était limitée à 40 km/h / Motos interdites / Tu vas au magasin le vendredi / Tu vas à l’église le dimanche)
[Refrain]
You go to the fields on weekdays
And have a picnic on Labor Day
You go to town on Saturdays
But go to church every Sunday
(Tu vas travailler dans les champs les jours de semaine / Et tu pique-niques le jour de la fête du Travail / Tu vas en ville le samedi / Mais tu vas à l’église tous les dimanches)
[Refrain]
No whiskey for sale
You get caught, no bail
Salt pork and molasses
Is all you get in jail
(Pas de whisky à vendre / Si tu te fais prendre, pas de caution / Du porc salé et de la mélasse / C’est tout ce que tu auras en prison)
[Refrain]
Little old town in Tennessee that’s called
Quiet little old community
A one-horse town
You have to watch
What you’re puttin’ down
In old Nutbush
They call it Nutbush
(Petite ville du Tennessee qui s’appelle… / Petite communauté tranquille / Une toute petite ville insignifiante / Il faut y faire attention / A ce que tu y poses / Dans le vieux Nutbush / Ils l’appellent Nutbush)