Il n’est pas aisé de se démarquer dans le genre littéraire à la mode qu’est la dystopie, option survie post-apocalypse. L’écrivaine espagnole Ariadna Castellarnau parvient à surprendre avec son premier roman à la choralité fragmentée, aussi étrange que sombre.

Le monde touche à sa fin, à moins qu’il ne soit déjà mort. Des groupes humains épuisés luttent contre la faim et survivent à l’état primitif dans une dévastation désespérante. Clairement, on est sur les bases du genre saturé de la fiction post-apocalyptique, avec des tropes peu originaux en soi. Mais Ariadna Castellarnau opte pour la dystopie flou en ne cherchant pas à surexpliquer les causes du chaos. Aucune époque, aucun lieu, aucun régime politique ne sont identifiables.
Au lecteur de se faire son propre film. L’autrice n’a pas la prétention de raconter l’Apocalypse. Ce qui l’intéresse, c’est l’humain dans son intimité et son rapport à l’autre. C’est ce qui reste de notre part d’humanité, du groupe social, des liens amoureux, de la famille lorsque tout se désagrège, quand il n’y a plus aucun filtre apaisant ni logique lisible des nouveaux rapports de force. C’est la difficulté, voire l’impossibilité de reconstruire une morale et une éthique quand les règles civilisationnelles ont été anéanties.
Ce court roman tient en huit chapitres, autant d’histoires qui pourraient s’apparenter à des nouvelles indépendantes car chacune centrée sur la trajectoire d’un personnage principal, narrateur laconique décrit en quelques coups de pinceaux, chacune ayant sa chute, mais progressivement, les passerelles entre les chapitres finissent par apparaître. L’ordre chronologique est volontairement brouillée, la chronologie en elle-même est pleine de trous, et on a une impression de totalité tant la technique narrative de l’autrice pour relier, au-delà de ce qu’on imaginait, est sûre. D’autant que le caractère fragmentaire de la narration est tenu par le leitmotiv du feu.
Les huit histoires sont inégales. La moitié laisse une faible empreinte dans l’imaginaire, mais les quatre autres sont d’une grande force, notamment les deux dernières Youcali et surtout Grand feu qui en quarante pages impressionnent par les images qu’elles impriment avec ces incroyables scènes de bûchers des vanités : brûler les affaires du passé pour se rappeler « l’essence vide des choses », pour un nouveau commencement, « les os, le sang et l’esprit renouvelés », « le sentiment aigu d’une perte déposé dans quelque chose d’aussi fragile que des cendres ».
La prose d’Ariadna Castellarnau est très belle, concise et sèche, terriblement évocatrice par la poésie qu’elle allume.
« Le ciel rétrécissait et se refermait sur nous, la force gravitationnelle de la Terre devenait plus dense et nous entraînait vers le coeur même de la planète, et ainsi continueraient-ils tous deux, ciel et Terre, en nous absorbant et en nous écrasant lentement, jusqu’à ce qu’autour de nous ne restât pas même l’obscurité, pas même le néant ».
Il y a peu de lumière dans ce qui est raconté, pas de rédemption collective, beaucoup d’expiation individuelle que l’on sent voué à l’échec. C’est très sombre. Inconfortable aussi dans ce que cela dit de la condition humaine lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements, notamment lorsqu’il est question d’enfants ayant atteint l’âge adulte par la force de la réalité, maternité et parentalité étant subverti par la satisfaction des besoins vitaux.
Brûlées n’est pas un récit qui cherche des réponses ni offre de l’espoir. Le format très court peut être assez frustrant car parfois on aurait aimé plus de développement, mais il apporte de l’insaisissable et de l’étrangeté à un premier roman cruel qui donne envie de suivre sa jeune autrice, assurément.
Marie-Laure Kirzy