« Du fil à retordre » de Michelle Gallen : le portrait cru d’une jeune Irlandaise en rébellion

Dans l’Irlande du Nord, à feu et à sang des années 1990, le roman raconte l’apprentissage de l’indépendance pour Maeve, une ambitieuse  jeune fille issue d’une famille catholique très modeste, qui rêve de partir étudier le journalisme à Londres.

Michelle Gallen
Francesca Mantovani © Gallimard

Roman irlandais de Michelle Gallen, Du fil à retordre est un récit en forme de compte à rebours qui, sans temps morts, conduit le lecteur vers le jour où Maeve, Caroline et Aoife recevront les résultats de leur examen d’entrée à l’Université. À la clé, la perspective d’un changement de vie.. Avec son prénom de reine guerrière, Maeve Murray, 18 ans, dont la famille appartient au sous-prolétariat catholique de l’Ulster, se bat avec encore plus d’acharnement que les autres pour réaliser son rêve : étudier le journalisme dans une université londonienne. De ces soixante-quatorze jours qui la séparent des résultats, elle fera autre chose qu’une simple attente : un apprentissage de l’indépendance. Embauchée avec ses deux amies dans l’usine de confection de chemises de sa petite ville, elle quitte l’appartement exigu et surpeuplé qu’elle partage avec ses parents et ses quatre frères pour s’installer en colocation avec Caroline. C’est le quotidien des trois jeunes filles que raconte le roman, leur découverte du monde du travail dans cette usine dirigée par Andy Strawbridge, un manager plus soucieux d’exercer son droit de cuissage que d’appliquer la législation du travail.

Michelle Gallen - Du fil à retordreÉté 1994 : l’Irlande du Nord est à feu et à sang. Les pourparlers qui aboutiront aux accords du Vendredi Saint ont commencé mais sans que s’apaise la violence. Les bombes de l’IRA et des loyalistes continuent d’exploser. Dans le contexte de la désindustrialisation entamée dans les années Thatcher et qui viendra sonner le glas de l’industrie textile, l’usine apparaît comme le microcosme de la société nord-irlandaise, où se jouent conflits politiques, de classe et de religion. À travers le regard aigu de Maeve se dévoile une violence omniprésente, tant physique que psychologique, et se révèle la vitalité d’un peuple en rébellion contre la pauvreté et les injustices, englué dans une guerre fratricide. Ici, les frontières paraissent infranchissables non seulement entre catholiques et protestants, mais aussi entre hommes et femmes, riches et pauvres, jeunes et vieux, travailleurs et chômeurs. L’usine met en lumière ces fractures, en tant que lieu de l’exploitation du prolétariat, essentiellement féminin, de l’infantilisation des ouvrières, cantonnées à des tâches strictement genrées, soumises à des cadences infernales, méprisées et sous-payées.

Témoignage historique, politique et social, Du fil à retordre est un récit d’apprentissage où se révèle le déchirement de Maeve, prise entre sa fierté nord-irlandaise, son attachement à son « bled pourri », et son envie de partir faire sa vie ailleurs. Elle est à la fois une jeune fille comme les autres qui aime rire, faire la fête, séduire, et une personnalité singulière. Marquée par la mort de sa sœur Deirdre, elle semble vouloir reprendre le flambeau de cette aînée trop fragile et se faire une place à la hauteur de ses ambitions. Sans illusion sur le monde, elle est entourée de femmes auxquelles l’unissent des liens d’amitié indestructibles ou de réelle solidarité. Au service de sa conscience politique naissante, une extraordinaire énergie, un incroyable aplomb qui viennent dissimuler sa fragilité. Un langage d’une extrême crudité – non pas l’anglais institutionnel mais un idiome populaire anglo-irlandais, signe de résistance. Et un humour, souvent noir, arme privilégiée contre le désespoir. Michelle Gallen a créé là un beau personnage qui force l’admiration et l’affection, héroïne d’un roman détonant, traduit avec talent par Carine Chichereau.

Anne Randon

Du fil à retordre
Roman de Michelle Gallen
Traduit de l’anglo-irlandais par Carine Cichereau
Éditions Joëlle Losfeld
352 pages – 25€
Date de Parution : 9 janvier 2025

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