La dernière parution dans l’excellent collection « Face B » de chez Playlist Society, Un genre à soi, réfléchit avec celles et ceux qui œuvrent en France dans le cinéma de genre sur ses récentes évolutions dans un pays qui le rejette depuis des décennies.

Attention ! Avis aux militants du wokisme comme aux défenseurs acharnés de la famille traditionnelle, nous n’allons pas parler ici de la « théorie » du genre, et ce n’est absolument pas de ce sujet, pour le moins polémique, que traite le dernier ouvrage paru dans la passionnante collection « Face B » de la maison Playlist Society, Un genre à soi ! Le propos de Judith Beauvallet, Axel Cadieux et Quentin Mével est le « cinéma de genre », c’est-à-dire une forme (plusieurs formes différentes, en fait) de cinéma de divertissement, travaillant les codes de « genres » a priori bien identifiés comme l’horreur, la science-fiction, le polar, le film d’action, le film d’arts martiaux ou de sabre pour son volet extrême-oriental, etc. Un propos qui nous passionne, chez Benzine, car nous sommes plusieurs rédacteurs à défendre obstinément ce type de films, reconnus et célébrés dans des pays de cinéma aussi importants que les Etats-Unis et la Corée, mais largement méprisés, ou au moins ignorés en France.
Les auteurs de Un genre à soi rappellent que la naissance du cinéma, en France particulièrement, a vu une prolifération du cinéma « de genre » : récits fantastique, science-fiction, feuilletons policiers, ont connu un immense succès populaire en France, et les plus grands réalisateurs de l’âge d’or du cinéma muet ont multiplié les chefs d’œuvre. Et puis, quelque chose s’est cassé, dans les années 50, 60, une rupture peut-être aggravée par l’émergence de la Nouvelle Vague : d’un côté, le cinéma populaire français s’est concentré sur la comédie (no comment !), tandis que le cinéma d’auteur a célébré le drame, la chronique sociale, l’étude psychologique, en dehors desquels il n’y avait, semble-t-il, rien de sérieux.
Dans les années 80, l’excellente revue de cinéma Starfix a donné un coup de pied dans la fourmilière en défendant bec et ongles les films de genre, et en montrant qu’il s’agissait là d’un véritable cinéma d’auteur, portant souvent des propos très originaux, avancés même, sur des sujets sociétaux et politiques, par exemple. Le seul de l’équipe de Starfix qui réussira à mettre en application ces théories sera Christophe Gans, en particulier avec son ambitieux le Pacte des loups, succès populaire surprenant, mêlant histoire de France, horreur et arts martiaux. Et pourtant, à la même époque, les cinéphiles français portaient aux nues De Palma, Cronenberg ou Carpenter, trois maîtres indiscutables, sans donner la moindre chance à des auteurs français susceptibles d’œuvrer dans les mêmes domaines.
Or, depuis la reconnaissance critique de films français comme Grave, Titane, le Règne animal, Vermines, Vincent doit mourir ou récemment, The Substance, quelque chose bouge, le public répondant d’ailleurs présent dans les salles. Les auteurs de cet essai s’interrogent donc sur la possibilité qu’on n’ait plus affaire à des succès épisodiques et éphémères, mais à la naissance d’un véritable mouvement… à condition que de multiples barrières dans les systèmes de financement, dans la production comme dans les métiers techniques pointus indispensables à la réalisation de fictions crédibles, qui plus est dans des budgets par définition limités, soient levées.
Pour compléter cette réflexion, et l’illustrer par des exemples pratiques, sept entretiens ont été réalisés avec des producteurs (belges également, tant les deux pays partagent de plus en plus souvent des productions), des techniciens, des spécialistes des effets spéciaux et une réalisatrice, Coralie Fargeat (The Substance).
La lecture de ces cent vingt pages est absolument passionnante, pour tous ceux qui aiment leur cinéma créatif, vigoureux, affranchi des codes désormais usés du cinéma d’auteur français comme de la comédie populaire. Par contre, il est clair qu’elles ne sauraient ni épuiser le sujet, ni même tracer des pistes vraiment réfléchies pour l’avenir : ce n’était certes pas le but du livre, qui dresse plutôt un état des lieux, mais ça n’en reste pas moins frustrant.
Allons, mesdames et messieurs de chez Playlist Society, poussez la réflexion un cran plus loin, formulez des hypothèses et des propositions, et publiez nous un Un Genre à soi, le retour, l’année prochaine !
Eric Debarnot