Les deux cancres millionnaires du cinéma « populaire » ont encore frappé, et livré à Netflix pour la somme faramineuse de 320 Millions de dollars un objet à peine qualifiable de « film ». Ce qui incite quand même à la réflexion…

La première question à se poser est évidemment : « Pourquoi investir deux heures de son temps à regarder The Electric State, film qui, une semaine après son lancement sur Netflix, cumule à travers le monde des milliers de critiques négatives ? La seconde est, logiquement : « après avoir réussi à le regarder dans son intégralité, par fragments, en quatre visionnages étalés sur deux jours et demi, tant il était ennuyeux, pourquoi diable écrire quelque chose sur cette perte intégrale de temps (« de cerveau » ? comme on disait naguère sur TF1) ? »
Eh bien d’abord, et c’est notre droit, parce que nous ne souscrivons par au « Netflix-bashing », exercice pratiqué avec exaltation par des millions de snobs (qui prétendent aimer le cinéma mais n’élèvent guère la voix d’habitude pour défendre les bons films sortis en salle) et de trolls (qui hurlent à la mort parce que Netflix a investi 320 Millions de dollars sur ce qui ne peut guère être qualifié d’autre chose que d’objet frôlant le néant, et qui sont à deux doigts de réclamer une intervention dans les bureaux de la plateforme d’Elon Musk et de ses sbires du DOGE). Rappelons simplement que, et c’est une intéressante coïncidence, Netflix vient de mettre en ligne une série qui est l’une des plus belles qu’on ait pu voir depuis… des années, et qui remporte un succès colossal à travers le monde, Adolescence : preuve quand même que ces gens-là savent ce qu’ils font, au moins quand ils s’allient avec des artistes de talent comme Jack Thorne, Stephen Graham et Philip Barantini. Et n’oublions pas non plus que Netflix nous a offert, au fil des années, des grands moments de « vrai cinéma » comme Mank de David Fincher, La Merveilleuse histoire de Henry Sugar de Wes Anderson, Roma d’Alfonso Cuarón, Marriage Story de Noah Baumbach, The Power of the Dog de Jane Campion, et beaucoup d’autres.
En fait, si l’on relit les titres qui nous sont venus spontanément à l’esprit en réfléchissant à de très bons films Netflix, leur point commun est l’existence au cœur du projet d’un réalisateur ou d’une réalisatrice dont le talent est reconnu depuis longtemps, et souvent également de grands acteurs. Ce qui nous amène plutôt à dire que si The Electric State est une telle purge, en dépit des sommes colossales investies dans des effets spéciaux sympathiques mais pas très impressionnants, ni intéressants, c’est bien que les Russo Brothers sont les deux ânes bâtés que nous les soupçonnons d’être depuis le début (même si le décorum infantile de Marvel a un temps caché leur nullité), que Chris Pratt ne sait pas faire autre chose que son rôle d’imbécile rigolo des Gardiens de la Galaxie (changer de coupe de cheveux, peut-être ?) et que Millie Bobby Brown n’a été remarquée dans son rôle de Eleven dans Stranger Things que parce qu’il s’agissait pour elle de ne pas montrer d’émotions (il faut voir pour le croire le ratage qu’est le final « émotionnel » de The Electric State, tant elle est incapable d’exprimer quoi que ce soit d’humainement crédible !).
Bref, le naufrage dans une marée noire d’ennui poisseux – entre scènes d’action sans dynamisme, humour lourdaud qui n’arrache même pas un sourire, et discours science-fictionnel usé et stéréotypé – de The Electric State n’est pas un problème Netflix, c’est un problème classique de film de cinéma : il n’y a tout simplement pas assez de talent ni d’intelligence derrière le film pour que le résultat ressemble, même de loin, à quelque chose d’intéressant. Et d’ailleurs, lorsqu’ils ont du talent à leur disposition, les crétins cubiques que sont les Russo Brothers ne savent pas quoi en faire : confier à l’excellent Stanley Tucci le rôle poussif d’un milliardaire diabolique de la tech (soit le méchant clairement à la mode en ce moment) et réduire le jeu du non moins excellent Giancarlo Esposito à une mini image floue greffée sur une machine, ça ressemble à se tirer deux balles dans le pied, non ?
On en revient donc à nos constatations habituelles sur l’incapacité d’Hollywood, depuis une bonne vingtaine d’années, à émuler les vieilles recettes du cinéma populaire, en recyclant encore et toujours les mêmes idées fainéantes dans une tambouille qui se veut tellement « familiale » (on n’échappe pas ici aux clichés ressassés sur l’amour au sein de la famille, au point où l’on peut trouver ça glauque, non ?) qu’elle est surtout insipide. On peut rêver au film que Steven Spielberg aurait fait à partir du même matériau (un roman graphique dystopique de Simon Stålenhag) : sûr qu’on aurait ri, qu’on aurait frémi, qu’on aurait versé notre petite larme. Oui, on peut y rêver, ou plutôt continuer à suivre le travail d’auteurs, de vrais cinéastes, qu’ils aient à leur disposition 320 Millions de dollars, ou quelques centaines de milliers d’euros. Qu’ils soient produits par Netflix ou par un petit studio franco-belge teigneux.
Eric Debarnot