Dans la veine de sa trilogie qui abordait la question du racisme et de la ségrégation, l’écrivain américain Thomas Mullen propose un passionnant polar historique qui se déroule à Boston durant la Deuxième guerre mondiale, occasion d’explorer cette fois l’antisémitisme et la désinformation à travers une histoire troublante d’actualité.

Boston, 1943. La journaliste Anne Lemire tient une petite rubrique dans le Boston Star, « La Clinique des rumeurs », dans laquelle elle démystifie les insinuations vicieuses, certaines propagées par les espions de l’Axe, d’autres de simples ragots mêlés de peur et d’ignorance. Elle s’intéresse tout particulièrement aux rumeurs visant les juifs et même à des pamphlets antisémites. Par un concours de circonstance, elle est amenée à faire cause commune avec Devon Mulvey, un agent du FBI qui lui enquête sur l’assassinat d’un ouvrier juif travaillant dans une usine fédérale d’armement où des fusils ont été dérobés.
Le casting est impeccable. Elle, jeune femme d’origine juive mais élevée dans la foi catholique. Intrépide et idéaliste, elle veut faire changer les chose, « peut-être était-ce pour cela qu’elle travaillait autant. Ce besoin de montrer, non seulement au monde mais à elle-même, qu’elle pouvait influer sur la guerre, la haine, sur pratiquement tout dans cette période de folie furieuse »,Thomas Mullen s’étant inspiré de la journaliste Frances Sweeney. Lui, le flic d’origine irlandaise isolé dans un FBI très WASP, autant coureur de jupon qu’il est droit dans ses bottes pour lutter contre les sabotages de guerre.
Leur duo fait des étincelles. Certes, leur relation va sur un terrain assez prévisible, mais leurs interaction sont irrésistibles, les dialogues entre eux pétillent et on a souvent l’impression de sourire en lisant leurs scènes, comme si on était installé nonchalammanent au cinéma devant un vieux film avec Lauren Bacal et Humphrey Bogard en trench coat et feutre vissé sur le crâne. Qui plus est dans un Boston admirablement reconstitué avec ses chantiers navals, ses quais, ses usines, ses quartiers populaires où différentes communautés cohabitent, parfois de façon ardu.
Et on se régale d’autant plus que Thomas Mullen a construit une intrigue sophistiquée, pleine de ramifications complexes, de fausses pistes et de rebondissements, dans un contexte Deuxième guerre mondiale qui apporte densité et profondeur, le tout balancé sur un rythme effréné une fois que décor et personnages sont posés.
Où que se tournent les regards, il ne semble pas y avoir de refuge. Corruption et crime sont omniprésents et semblent marcher de pair. Syndicats ouvriers, mafia italienne, ligues pro-fascistes ouvertement antisémites comme celle de la Légion chrétienne, forces de l’ordre pas vraiment à la hauteur… autant d’acteurs qui rendent difficile l’avancée de l’enquête. Anne et Devon doivent agir indépendamment du système, le contourner ou carrément enfreindre les règles, quitte à en payer le prix, tout en étant rongés par des dilemmes moraux incessants.
Le constat est sombre et laisse un sale goût dans la bouche, qui persiste après lecture, tant le portrait de cette nation divisée résonne avec la situation actuelle. Thomas Mullen livre des détails fascinants sur le climat politique dans un pays qui était déjà divisé sur l’entrée en guerre et qui désormais opposent ceux qui estiment la guerre juste et nécessaire avec les isolationnistes qui pestent contre le sacrifice de jeunes Américains pour sauver les démocraties européennes.
Marie-Laure Kirzy