Paul Thurin, un auteur français écrivant sous pseudonyme, invente les parties manquantes d’une histoire vraie qui s’est déroulée en 1318 dans l’archevêché de York en Angleterre pour en faire un récit qui frôle l’irréel. Surprenant et envoûtant.
Il aura fallu que l’auteur lise un article du quotidien britannique The Guardian écrit en 2019, pour être intrigué par l’histoire de Joan de Leeds, nonne bénédictine qui a simulé sa mort pour s’évader de l’abbaye de Saint-Clément. L’archevêque d’York, William Melton, a lancé les recherches pour la rattraper. L’histoire découverte par une médiéviste membre de la Royal Historical Society dans les registres religieux ne dit pas ce qu’elle est devenue. Il n’en fallait pas plus à l’écrivain pour s’emparer de cette intrigue. En s’appuyant sur les archives de l’archevêché et avec des recherches historiques pour planter le décor, Paul Thurin nous embarque dans l’aventure folle de la jeune nonne.
Dès les premières pages, le lecteur devine le caractère bien trop trempé de cette jeune nonne orpheline issue de l’aristocratie anglaise pour se plier aux diktats de la religion et de la mère supérieure de l’abbaye. Dotée d’une sensibilité qui lui permet de lire la nature et d’une intelligence qui lui fait deviner que la vie à l’extérieur serait bien plus belle, Joan de Leeds frôle très souvent l’impertinence. D’autres nonnes admiratives de la capacité d’imagination de Joan se laissent embarquer dans son idée la plus folle pour obtenir cette liberté tant convoitée. Elle prépare sa mort pour pouvoir s’évader. Utilisant le pouvoir des plantes, elle simule la maladie. Pendant ce temps, ses comparses fabriquent masque et mannequin qui lui permettront de faire son tour de passe-passe.
Surgissent alors des personnages hauts en couleurs au gré des aventures de Joan une fois cette liberté acquise. Un géant menuisier, une femme tapie au fonds des bois aux allures de sorcière, un nain manchot à la débrouillardise égale à sa langue bien pendue aident Joan à gagner Londres.
Étourdie par le monde extérieur qu’elle découvre, innocente mais pas farouche, elle fera son apprentissage de la vie dans les bas-fonds londoniens et derrière les murs d’une maison cossue.
Ode à la liberté et au féminisme, les femmes usant de la médecine des plantes pour garder la liberté de leur corps, ce roman historique fait preuve d’une grande modernité.
Bien entendu, l’histoire serait incomplète sans la vilaine mère supérieure qui, lorsqu’elle découvre la supercherie, lance à ses trousses un ancien shérif au flair encore affûté.
La lecture de ce roman est jouissive à bien des égards. Le rythme haletant, le suspense, la part de vérité historique qui plonge le lecteur dans le moyen-âge :tous les ingrédients sont réunis pour rendre brillante cette histoire façonnée comme un conte mais dont on aimerait qu’elle soit entièrement véridique. Et là réside le tour de force de l’auteur, fondre le réel et l’imaginaire pour ne faire qu’un.
Caroline Martin