Le grand écrivain dans ce livre testament entrelace le récit des pans de sa vie turbulente et des chants de l’Iliade en les érotisant. Même si on retrouve sa qualité d’écriture, il met souvent le lecteur à distance.

Autant avertir les lecteurs de cette chronique, Pierre Michon est sans doute un de mes écrivains favoris, je considère Vies minuscules (1984) comme un des plus grands livres de la littérature française et si vous ne l’avez pas encore lu, vous êtes très fortuné de pouvoir, un jour, découvrir cette œuvre majeure.
Depuis la parution en 2011 de Les onze et Les deux Beune en 2023 (en fait une sorte de prolongement d’un autre livre majuscule La Grande Beune), on n’avait plus guère de nouvelles de cet auteur important. Bref nous attendions avec beaucoup d’impatience ce nouveau roman qui s’avère, en fait, un récit. Mon libraire m’avait pourtant prévenu : « il a arrêté de boire, cela va être moins bon… » (des coups à se mettre les AA à dos). Étant beaucoup plus respectueux que lui, le titre J’écris l’Iliade me parut des plus prometteurs, ouvrant le champs (chant ?) des possibles tant le creusois est un orfèvre de l’écriture.
Et puis…patatras. La lecture de J’écris L’Iliade a au moins fait poindre une évidence lexicale importante, les deux adjectifs « abscons » et « imbitable » incluent le nom argotique du sexe féminin et masculin (du nanan pour un psychanalyste lacanien) : il en est d’ailleurs souvent question dans ce dernier opus, de sexe pas de psychanalyse. Bref Pierre Michon aurait-il eu la malice dans J’écris l’Iliade, dont la quatrième de couverture annonce que c’est un « récit souvent érotique », d’appliquer cette règle lexicale ?
Au crédit de l’écrivain, il n’avance pas masqué car on peut lire page 93 où il relate ses discussions avec ses potes de bistrot : « Je lui dis encore une fois qu’il ne fallait pas acheter mes livres, dont je ne leur parlais jamais – mais ils en avaient connaissance par la presse locale. Je les prévenais depuis toujours que ma littérature, c’était « prise de tête et compagnie », juste pour épater les intellectuels et gagner quelques sous. ». On reconnait certes ici l’auto-ironie de Michon…qui au passage déstabilisera ses thuriféraires mais rassurera aussi le lecteur épuisé voire égaré.
Il est maintenant temps que je vous dise de quoi retourne J’écris l’Iliade et même si j’admets humblement qu’il m’est arrivé tel Ulysse de naviguer d’ile en ile (page en page) sans parfois trop m’attarder tant les rivages étaient difficiles d’accès ou n’étais-je sans doute pas un marin assez expert pour accoster ?
L’ambition de J’écris l’Iliade est de proposer une version plus crue des célèbres chants tout en entrelardant (terme choisi à dessein) le récit d’épisodes de sa vie michonienne chaotique, ce qui est d’ailleurs le plus intéressant (et compréhensible). Il prend un malin plaisir à se décrire en être infréquentable et ingérable, ce qui n’est peut-être pas usurpé : en France il avait la même réputation que Bukowski coté boisson…
Il nous relate, ainsi un séjour en Sicile, qu’on croirait tiré d’un passage de Sur La route de Kerouac avec un Michon, vagabond céleste, double de Moriarty en plus lettré. Plus avant, on avait eu un Michon en Lafcadio gidien qui à défaut de commettre un crime gratuit dans un train, baise une Italienne inconnue et je passe tous les récits divers et variés à propos de son comportement erratique qu’on découvre au fil des pages. Tout cela semble bien daté…et notamment sa relation aux femmes et la manière dont il parle d’érotisme (parfois pornographique) et de sexualité, c’est un vrai « boomer » au sens le moins noble du terme. Il faut d’ailleurs signaler que Pierre Michon n’a pas été trop attaqué voire boycotté par la critique féminine sur ces aspects-là, d’autres auraient été moins épargnés. Les plus optimistes considèrent que Michon dans J’écris l’Iliade « cherche à démolir la stature de grand écrivain, dans laquelle il est coincé depuis la parution de Vies minuscules. » (Johan Faerber sur France Culture).
Coté Iliade me direz-vous ? Peut-être aurez-vous plus de courage que moi et relirez-vous tous les chants pour mieux apprécier la version olé olé qu’en donne Michon… ? Je n’ai pas eu le courage d’aller au-delà du premier chant.
Après avoir tenté de terminer ce livre, la question qu’on peut légitimement se poser est de savoir à qui est destiné ce texte et comment peut-on le lire ? Est-ce un testament, un pied de nez à ses lecteurs, admirateurs et aux universitaires qui décortiqueront sa prose (cf. Laurent Demanze dans l’excellent AOC) ? Doit-on avoir un appareil critique à disposition pour vraiment l’apprécier, aura-t-il plus de portée dans quelques années ? Il y a évidemment de très beaux passages où on retrouve la phrase michonienne quoique plus efficace et plus resserrée qu’elle ne le fut.
Bref il est urgent de lire ou relire Vies minuscules et d’oublier J’écris l’Iliade dans sa bibliothèque pour peut-être y revenir un jour.
Éric ATTIC