Depuis le succès du Monde sans fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, nous savons qu’une bande dessinée peut être sérieuse et utile, James W. Loewen et Nate Powell nous alertent sur l’indigence des manuels d’Histoire états-uniens.

En adaptant Lies My Teacher Told Me, le best-seller de James W. Loewen publié en 1995, Nate Powell lance un cri d’alarme. L’enseignement de l’Histoire au États-Unis est indigent, menteur et décourage la formation d’esprits critiques.
James W. Loewen pose la question du roman national. L’histoire d’un pays, telle qu’elle est proposée à ses écoliers, très officiellement par ses programmes, est une construction littéraire, pédagogique et politique. Elle incarne un projet politique. Le projet américain est simple : les États-Unis sont la meilleure des nations. Fondée par des héros désintéressés et démocratiques, la plus ancienne des républiques n’a connu qu’un progrès continu. Ayez confiance… Soucieux de jouer la carte du consensus et d’échapper aux critiques des lobbies nationalistes, les manuels s’auto-censurent, quitte à masquer les vérités malaisantes. Or, les lycéens sont parfaitement capables d’appréhender la complexité et le doute.
Le dessin de Nate Powell est agréable à lire et précis. S’il laisse la place à texte très dense, il ne se contente pas d’illustrer le propos pour en faciliter la lecture, il y apporte malice et second degré.
L’album permet de mieux comprendre la violence de la crise que traverse le pays. L’opposition entre deux peuples, un peuple nationaliste et borné et un autre plus éclairé et ouvert sur le monde. En douze chapitres denses et argumentés, James W. Loewen réécrit l’histoire de son pays. Il déconstruit les mythes entourant Christophe Colomb, Abraham Lincoln ou Thanksgiving. Il rappelle que le pays s’est construit sur l’élimination des Premières Nations et sur l’esclavage, que la ségrégation raciale a été voulue et que si elle a été, tardivement abolie, ce n’est pas sur seule bonne volonté de dirigeants éclairés, mais sous la contrainte de la rue. C’est le combat politique qui a eu raison du racisme. Il rappelle que le dollar est roi et que les classes sociales ne se mélangent guère, que sur 46 présidents, seuls Andrew Johnson, Jimmy Carter et Barak Obama étaient issus de milieux populaires, et que les États-Unis ont mené d’innombrable guerres pour servir des intérêts financiers.
Ainsi, les manuels sont unanimes pour expliquer que le 11 septembre était dû à la « haine de nos libertés ». Or, c’est faux. Ben Laden était ulcéré par le cynisme de la politique des États-Unis dans le monde musulman.
Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de vous donner le témoignage du général Smedley Butler (1881-1940), authentique héros repenti du corps des Marines :
« J’ai effectué 33 ans et 4 mois de service actif, et durant cette période, j’ai passé la plupart de mon temps en tant que gros bras pour le monde des affaires, pour Wall Street, et pour les banquiers. En bref, j’étais un racketteur, un gangster au service du capitalisme. J’ai aidé à sécuriser le Mexique (…) au profit des groupes pétroliers américains en 1914. J’ai aidé à faire de Haïti et de Cuba un endroit convenable pour que les hommes de la National City Bank puissent y faire des profits. J’ai aidé au viol d’une demi-douzaine de républiques d’Amérique centrale au bénéfice de Wall Street. J’ai aidé à purifier le Nicaragua au profit de la banque américaine Brown Brothers de 1902 à 1912. J’ai apporté la lumière en République dominicaine au profit des entreprises sucrières américaines en 1916. J’ai livré le Honduras aux entreprises fruitières américaines en 1903. En Chine, en 1927, j’ai aidé à ce que l’entreprise Standard Oil fasse ses affaires en paix. »
Stéphane de Boysson
Une histoire critique des États-Unis
Scénario : James W. Loewen
Dessin : Nate Powell
Éditeur : Steinkis
272 pages – 24 €
Parution : 9 janvier 2025
Une histoire critique des États-Unis — Extrait :
