Totalement déjanté, L’Ours de Californie, le nouveau roman de Duane Swierczynski, est une critique assez jubilatoire de l’exploitation cinématographique des tueurs en série les plus célèbres. Mais c’est aussi le magnifique hommage d’un père à sa fille.

L’œuvre de Duane Swierczynski est assez révélatrice du goût de cet auteur pour les univers pulps et pour la pop culture en général. Scénariste pour Marvel Comics (on lui doit quelques épisodes d’X-Men, du Punisher et d’Iron Fist), Swierczynski a aussi co-écrit avec Anthony E. Zuiker (le créateur des Experts) les romans hybrides et interactifs de la série Level 26. Le principe était aussi simple qu’innovant : toutes les vingt pages environ de ces thrillers ultra-violents, le lecteur était invité à se rendre sur YouTube pour regarder des vidéos venant compléter le roman.
Mais pour l’amateur de polars, Duane Swierczynski est surtout l’auteur de romans un peu fous et souvent imprévisibles. Son dernier roman en date, le très réussi Revolver (2016), avait pourtant révélé un Swierczynski assagi, plus grave et parfaitement en prise avec les réalités de son pays. Avec L’Ours de Californie, c’est le Swierczynski loufoque et déjanté que l’on retrouve… Du moins en apparence. En effet, l’intrigue totalement débridée de ce nouveau roman se révèle au fur et à mesure assez caustique, mais aussi très émouvante et personnelle.
L’Ours de Californie, c’est le surnom d’un tueur en série qui n’a jamais été arrêté. Après avoir terrifié Los Angeles pendant plusieurs années, il a pris sa retraite et mène désormais une vie monotone auprès d’une femme acariâtre qui surveille son diabète et ne lui laisse que très peu d’espace de liberté. Mais les instincts sauvages du vieil homme semblent vouloir se réveiller. Au même moment, Jack, un ancien pianiste de jazz, sort de prison : Cato Hightower, un ex-flic du LAPD, a réussi à prouver son innocence et à le faire libérer. Pour autant Hightower n’est pas totalement altruiste : il compte sur l’aide de Jack pour faire chanter l’Ours de Californie qu’il a réussi à identifier. Mais Jack ne se laisse pas facilement convaincre car il n’a qu’une hâte : retrouver sa fille Matilda. Il ignore toutefois que l’adolescente vient d’être hospitalisée en urgence après qu’on lui a diagnostiqué une leucémie…
Ces quelques éléments, s’ils fondent le point de départ du récit, peinent à rendre compte du vent de folie qui souffle sur un roman qui ne cesse de nous surprendre – et de nous faire sourire. Pour compléter le tableau, il faudrait évoquer Winnie, le complice de l’Ours de Californie, parler de l’incroyable intelligence d’une Matilda qui n’a rien à envier aux plus grands détectives des romans policiers qu’elle dévore, ou de Gene Jeanie, la spécialiste de généalogie qui complète cette galerie de personnages souvent truculents.
En lisant L’Ours de Californie, on comprend assez vite que Swierczynski n’est pas vraiment obsédé par la vraisemblance. Il cherche simplement à s’amuser et à nous amuser en même temps ; ce qu’il réussit fort bien (même si, pour être tout à fait honnête, son roman souffre de quelques longueurs). Mais L’Ours de Californie, comme souvent chez Swierczynski, mêle la satire au rocambolesque. Ici, le romancier s’en prend à une industrie du spectacle avide d’exploiter de terribles faits divers, quitte à transformer les pires monstres en objets d’un culte bien morbide. Swierczynski estime surtout que ce sont les victimes qui sont oubliées dans ces films, séries ou documentaires qui racontent jusqu’à l’écœurement des meurtres toujours plus sanglants.
Enfin, la postface de l’auteur apporte un autre éclairage au livre que l’on vient de lire. En effet, à travers l’histoire de Jack et Matilda, Swierczynski a écrit son livre le plus personnel. Sa propre fille est morte d’une leucémie en octobre 2018, alors même que qu’il écrivait une première version de son roman, comme un exutoire à la tragédie qui le frappait. Matilda, personnage solaire qui combat la maladie avec un courage qui force l’admiration, est donc l’hommage d’un père qui a trouvé dans l’écriture une manière d’affronter l’impensable.
Grégory Seyer