[Interview] Christian Vander : derviche tourneur et medium

Interviewer Christian Vander, l’âme de Magma, ce groupe monstrueux et génial qui suit son propre chemin depuis un demi-siècle, c’est un cadeau de la vie. Parce que Christian VIT la Musique comme peu d’autres musiciens, et qu’il transmet naturellement cet amour, cette vitalité, cette créativité. Mais aussi parce qu’il a toujours des anecdotes passionnantes à raconter !

Magma Salle Pleyel 08 Oct 2023 Robert Gil
Magma à la Salle Pleyel (Octobre 2023) – Photo : Robert Gil

Christian Vander : Tiens, je vais raconter une petite anecdote, pour commencer… On était absolument inconnus, à nos débuts, notre premier disque n’était pas encore sorti, et le producteur nous avait dit de ne pas utiliser le nom de Magma ! On avait trouvé par hasard le nom de Transition (qui est le titre d’un morceau de John Coltrane, mais sorti plus tard en France). Transition joue donc en première partie de Deep Purple, des thèmes assez jazz, je prends un chorus de batterie, type Elvin Jones, et puis à la fin, on entend dans la salle « Ouais, pas mal, pas mal…! ». Après nous, on voit Ritchie Blackmore, qui commence à phraser à la guitare, puis prend une bouteille de Coca et la boit tout en phrasant. Hystérie dans la salle. Et puis c’est le solo de batterie, de plus en plus rapide, le public est en délire. On se dit : « ah bon, d’accord ! ». Le soir suivant, Claude Engel commence à brasser la guitare dans tous les sens, et puis il prend un gros litron de vin rouge qu’on avait acheté exprès, et il parodie Blackmore la veille. Les gens crient : « Exhibitionniste ! Fumiste ! ». Après, arrive le chorus de batterie, Francis Moze prend un micro et commente. « Et il va aller de plus en plus vite : etc. » Etc. Là encore, le public râle. Sauf que, juste après, Deep Purple jouent, et ils refont leur truc comme la veille. Sauf que, à l’arrivée, quasiment pas de réaction dans la salle. (Rires)… Bon, le lendemain, les gars de Deep Purple sont dans la salle pour voir qui est-ce qui joue avant eux. Et ils disent : « Bon, on ne veut plus tourner avec ces gens-là ! ». Et notre tournée en première partie de Deep Purple s’est arrêtée là (Rires).

Magma Salle Pleyel 08 Oct 2023 Robert Gil 2Benzine : C’est génial, on ne sait si c’est drôle ou triste… Bon, pour commencer, je voudrais que tu nous expliques comment on fait pour jouer comme ça pendant 50 ans, en évoluant, sans se perdre, en restant Magma…

Christian : Moi, ce sont mes maîtres qui m’ont appris ça. John Coltrane, avant tout : chacun de ses albums était différent et nouveau. A mon niveau, je suivais la même ligne. Il ne fallait pas toucher à ce qui était AVANT, mais à chaque fois, SURPRENDRE. De la surprise pour les gens bien sûr, mais aussi pour moi-même.  Il fallait du nouveau… Moi, je compose au piano, de manière un peu médiumnique : je peux pianoter, ça n’a aucun intérêt. Soudainement, quelque chose apparaît. Une mélodie qui n’a pas été préméditée, les accords viennent. Alors je suis le fil, le magnéto tourne parce qu’on ne peut pas mémoriser ce qui n’a pas été prémédité. On ne sait pas comment ça a muri, ça apparait d’un seul coup. C’est un peu comme quand on écrit de la poésie. Moi qui écrit des textes, j’ai trouvé des stylos au Japon qui écrivent sur n’importe quel support. Pour saisir ce qui vient, à n’importe quel moment…

Benzine : On avait été frappé à l’époque par la langue que tu avait créée, le Kobaïen, c’était très impressionnant. Mais est-ce qu’il y avait un vrai mysticisme là derrière, ou est-ce que c’était plus du décorum…

Christian (nous interrompant) : Oh, non ! Absolument pas de décorum… Pour moi, la spiritualité c’est essentiel. J’ai senti tout de suite ça en écoutant Coltrane, la spiritualité. Tiens d’ailleurs, peu de gens le savent, John jouait assis à la fin, il souffrait du foie. Il n’a pas voulu se faire soigner, et s’est laissé partir, il considérait qu’il avait tout dit.

Coltrane, c’est ma mère, très mélomane, qui me l’a fait découvrir : elle l’avait remarqué dans le quintette de Miles Davis, sur un phrasé qui s’appelle, je crois, When The Lights Are Low. Et à partir de ce moment j’ai tout oublié ce que j’écoutais avant, Sonny Rollins, Charlie Parker. J’achetais des disques de John, qui cherchait la formule magique, en changeant ses musiciens. Soudainement, sur le dernier disque de John que j’achète, je lis « Jimmy Garrison, McCoy Tyner, Alvin Jones » : j’ai dit, il y a une magie dans ces noms, ça y est, il a trouvé ! (rires).

Benzine : Tu es d’où, géographiquement ?

Christian : De l’est de la France, un département très méconnu, la Haute-Marne, à côté de Langres…

Benzine: Pourquoi la batterie ?

Christian : Tout petit, je tapais sur tout pour essayer des percussions… Et je dansais aussi, je tournais comme un derviche tourneur, jusqu’à tomber. Ce qui est drôle, l’autre jour, j’ai vu à la Gare de l’Est, une petite gosse qui faisait ça aussi, qui tournait jusqu’à s’étourdir. Comme moi.

Magma Salle Pleyel 08 Oct 2023 Robert Gil 3Benzine : Tu étais d’une famille de musiciens ?

Christian : Je n’ai jamais connu mon père, mais ma mère était très mélomane. Mais j’étais élevé par mon oncle et ma tante, qui, au mieux, écoutaient de l’accordéon le dimanche. Je me cachais pour écouter un disque de Jazz, sans savoir même lire le mot « Jazz ». A 11 ans, j’ai habité avec ma mère, elle avait des amis comme Chet Baker, qui étaient souvent à la maison. On habitait dans le Xème arrondissement, Porte Saint Martin.

Benzine : Dans ta musique, même si ça varie logiquement avec le style de chaque morceau, il y a toujours une sorte de « grandeur »…

Christian : Moi, je disais aux musiciens, il ne faut pas penser qu’on est là, seul avec notre instrument. Il faut penser qu’on est au moins – chacun ! – cinquante… Il faut que le son soit propulsé !

Benzine : A travers le temps, on voit qu’il y a un public très fidèle à Magma, qui se pointe aux concerts avec vos T-Shirts, et tout ça. Mais, en même temps, vous pouvez jouer au Hellfest devant un public qui n’attend pas votre genre de musique, et… ça marche !

Christian : Oui, beaucoup des « métalleux » sont branchés Magma. Même des gens très connus, comme Robert Trujillo, le bassiste de Metallica, ou comme Bruce Dickinson, le chanteur de Iron Maiden, sont des fans de Magma !

Benzine : Comment tu expliques ça, cet impact ? Tu es un vrai shaman ? (Rires)

Christian : Non ! Il faut juste être EN musique, être habité par la musique. Tous les musiciens que j’ai aimé, et beaucoup sont partis, malheureusement, étaient POSSEDES. La musique, c’est ma vie. Peut-être que les gens le sentent, je n’essaie pas d’analyser le phénomène, je n’y pense pas.

Mais il y a une véritable importance des choses : un soir, dans un club, je vois un musicien noir américain que je connaissais, il y avait sa batterie, ils jouaient justement un thème de John Coltrane. Arrive le final, j’étais à côté de la batterie, et je frotte ma main sur la cymbale pour un dernier « cchhhhhh ». Et le mec me regarde et me dit : « Hey you ! Don’t touch ME ! » La batterie, c’était LUI, c’était son langage. Après, j’ai réfléchi à ça, et j’ai compris que ça allait très, très loin, la Musique…

Benzine : C’est beau… Bon, alors, l’avenir ?

Christian : Il y a une grosse sortie de rééditions. Mais je suis sur un projet de morceau… Il faut que l’inspiration soit là. Il y a des périodes de vide, c’était un peu le cas récemment. Mais ça tourne à l’intérieur, ça va arriver. Souvent, je me dis : « Tiens je vais essayer de composer un truc comme ça… » : mais après, ça va directement dans les cartons… Par contre, d’un coup, ça peut « arriver ».

Benzine : Et comment les autres musiciens s’impliquent là dedans ?

Christian : Si les musiciens aiment cette musique-là, ils sont capables de la jouer cette musique, qui n’est pas facile…

Benzine : Est-ce qu’il y a des choses qui t’intéressent dans la musique actuelle ?

Christian : J’ai la chance, avec des copains, d’écouter à peu près tout ce qui se passe, j’avoue franchement que non ! Pour le jazz, j’ai dit « John Coltrane a tué le jazz ». Pour essayer d’avancer dans le jazz aujourd’hui, il faut déjà prendre le taureau par les cornes et essayer de comprendre. Reprendre le phrasé de Coltrane, ce n’est pas suffisant, il faut comprendre comment c’est construit. Regarde, Transition, par exemple, justement : après un premier mouvement qui se termine par un cri, il monte en escalier dans le second mouvement, et il redescend en spirale dans le troisième mouvement. C’est sur trente-deux mesures, on s’y perd très vite, les gens s’imagine que c’est free : mais à l’issue des trente-deux mesures, le thème reprend. Ça frise la folie. Il faudrait repartir d’un travail pareil pour voir s’il est possible de développer autre chose…

Propos recueillis par Eric Debarnot le 6 mars
Photos prises par Robert Gil le 8 octobre 2023 à la Salle Pleyel.

Magma est en tournée française en ce moment :

Affiche tournée Magma

1 thoughts on “[Interview] Christian Vander : derviche tourneur et medium

  1. Fan de ce groupe dans les années soixante-dix je l’ai vu à de nombreuses reprises en concert. Pour moi leur chef-d’oeuvre absolu est « M.D.K. » (1973). De la transe kobaïenne !

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