[Live Report] Mark Eitzel à Life is a Minestrone : another great American zombie…

Mark Eitzel appartient au club des génies de la musique américaine, mais trop peu de gens le savent. Hier soir, dans le cadre bienveillant et recueilli de la chapelle de Catherine Watine, il a déversé sur nous une heure et demie de douleur incandescente et d’humour humble mais dévastateur.

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Mark Eitzel Minestrone en session Life Is A Minesrtone – Photo Laurent Devoille

Il y a peu d’artistes de la trempe de Mark Eitzel. Très peu. Quelqu’un qui est capable de vous froisser le cœur pour toujours en une phrase chantée de sa voix déchirante, avant de vous faire rire aux éclats quand il se moque de l’administration Trump et de la dictature qui s’installe chez lui. American Music Club ? Peu de gens connaissent le nom de ce groupe, vénéré par une petite troupe de fidèles, dont les musiciens de R.E.M. faisaient partie, un groupe qui rayonna un temps dans les années 90, avant de s’éteindre dans l’indifférence. Mark Eitzel, leur leader chagrin, continue pourtant à chanter ses chansons qui nous font si mal, et pourtant un bien fou. Il passe rarement en France, mais hier soir, Catherine Watine et Life Is A Minestrone l’ont accueilli dans la chapelle secrète de Châtillon. Nous étions une soixantaine, assis à l’écouter chanter ses chansons cruelles ou désespérées, et raconter des blagues humbles et désespérées (parce que, on le sait, l’humour est la politesse du désespoir), mais chacun d’entre nous était SEUL face à la beauté absolue, terrible, de cette musique à nulle autre pareille.

Devant un public aussi recueilli, dans une atmosphère aussi appropriée, de toute façon, qu’est-ce qui pouvait mal se passer ?… Qu’est-ce qui pouvait empêcher cette soirée d’être exceptionnelle, mémorable ? Même si tout le monde sait que Mark Eitzel, un être humain profondément déchiré, aux états d’âmes complexes, n’est pas facile (il a d’ailleurs demandé à ne pas être filmé, ni photographié de trop près). Le démarrage du set est hasardeux, Mark n’a pas l’air bien, il attaque avec un morceau inconnu (de moi en tous cas) : première chanson, premier pain. Pas grave, en fait, c’est absolument bouleversant comme ça, dans ce déséquilibre à la fois intime et vertigineux… La voix est belle, encore très belle, toujours aussi belle. L’émotion est là, suffocante.

2025 03 29 Mark Eitzel Minestrone LD« La prochaine chanson, je l’ai écrite pour Eva Braun. Parce que tout le monde mérite une chanson, non ? De toute façon, le fascisme est LÀ… et on va en parler, motherfuckers ! » Sans surprise, Mark est en rage contre le nouveau gouvernement qui détruit tout ce en quoi il croit, mais il préfère en rire. « Let’s fall from the sky… C’est une chanson que j’ai jouée à la Maison Blanche, j’aime bien créer une bonne atmosphère… ». Rires dans l’assistance. Bon, à un concert de Mark Eitzel, tu as intérêt à être « fluent in american », sinon, tu passes à côté des meilleures blagues, comme des paroles les plus assassines ou brutales. Troisième chanson, Rode All That Way, un peu plus animée, à la limite de la country traditionnelle : nouveau pain, et pourtant, l’émotion continue à monter. « Incroyable ! », c’est le seul mot que j’arrive à glisser à mon voisin, tant j’ai la gorge serrée. Heureusement, planqué derrière le bar comme je suis, les bouteilles de vin aident à avaler ça. Eitzel, comme s’il lisait dans mon esprit (mais je suis sûr qu’il peut le faire), félicite notre hôtesse pour son « delicious Côtes du Rhône »…

« Cette chanson, je ne l’ai pas jouée à la Maison Blanche, mais à Mr Trump lors d’une rencontre amicale. Je lui ai demandé 5 millions de dollars, et j’ai voulu m’acheter un jet… » C’est I Love You But You’re Dead ! Sauf que Mark change le refrain en « I love you when you’re dead », ce qui change tout, et est bien plus violent. Après la politique, l’Amour : « J’ai écrit cette chanson pour mon mari, mais je crois qu’il ne l’aime pas, il me répète toujours : « Mark, je ne suis pas ton public ! » »… et pourtant quelle superbe déclaration d’amour de la part de quelqu’un dont on sait qu’il a toujours été sur la corde raide, à deux doigts de tomber : « You make me want to stick around and find / If there’s an answer » (Tu me donnes envie de rester et de trouver / S’il y a une réponse). C’est la superbe An Answer, extraite de son dernier album, Hey Mr Ferryman, qui date déjà d’il y a sept ans. Il enchaîne avec un second titre du même disque, beau à vous froisser l’âme : Nothing and Everything.

A partir de là, Mark décide de revenir dans le passé, et attaque le répertoire d’American Music Club, auquel il se tiendra jusqu’à la fin du set (…d’une heure trente environ, on sera gâté). Bien sûr, ces chansons, des classiques, si l’on ose dire, des années 80-90, sont bien plus connues de l’assistance. Et Mark semble maintenant plus à l’aise, le concert est moins chaotique, plus… professionnel (enfin, n’exagérons rien !). « Lazarus wasn’t grateful for another chance to see his chances fade... » (Lazare n’était pas reconnaissant d’avoir une autre chance de voir ses chances disparaître) : c’est l’un des sommets de Mercury, le meilleur album d’AMC, c’est I’ve Been a Mess, avec en plus cette phrase merveilleuse : « It’s gonna turn me into another great American zombie so hungry, so hungry for you » (Ça va me transformer en un autre grand zombie américain, tellement affamé, tellement affamé de toi). « Je suis sur la route, mais tout ce que j’ai fait cette semaine, c’est fumer tout un tas de marijuana, regarder tout un tas de mauvaise télévision, chanter tout un tas de mauvais refrains. » nous explique Mark, avant d’entamer un All My Love, passionné, extatique, pour son mari qui lui manque.

Retour à la politique : « J’ai chanté cette chanson pour JD Vance, qui me l’a demandée, mais ça s’est mal passé… la sécurité est venue, ils m’ont emmené ». Et il entame de sa « voix d’Alt-country » l’incroyable Outside This Bar, avec son refrain qui tue : « And outside this bar there’s no one alive / Yeah, outside this bar how does anyone survive / Together you and me, you know we’ve gotta destroy this world » (Et en dehors de ce bar, il n’y a personne de vivant / Ouais, en dehors de ce bar, comment quelqu’un pourrait-il survivre ? / Ensemble, toi et moi, tu sais que nous devons détruire ce monde). Comment retenir le flot d’émotion qui me submerge à ce moment-là ? « J’ai ma tenue MAGA, mes shorts, mon t-shirt avec « Fuck You » écrit dessus, et mon arme, avec des munitions qui peuvent traverser les murs et tuer tout le monde, TUER TOUT LE MONDE !!! Alors voici ma chanson patriotique… »… Patriot’s Heart : « The more you pay the more you want it all to fall apart / And dollars pour like ashes from the patriot’s heart ». (Plus vous payez, plus vous voulez que tout s’effondre / Et les dollars coulent comme des cendres du cœur du patriote). Terrible de justesse, de pertinence, alors que la chanson a été composée il y a 20 ans…

« Cette prochaine chanson, je l’ai écrite alors que j’étais un trou du cul de vingt ans, elle a besoin d’être réécrite. Je l’ai écrite alors que ma mère mourait d’un cancer, mais vous savez les boules de morphine qu’elle prenait, c’était super dans du soda… » C’est donc avec Blue and Grey Shirt et sa célèbre phrase – quelle chose terrible à écrire quand on a vingt ans ! : « ‘Cause I’m tired of being a spokesman for every tired thing » (Parce que je suis fatigué d’être le porte-parole de chaque chose fatiguée) qui boucle le set.

Mark refusera de jouer en rappel son seul demi-succès que les fans réclament, ce Johnny Mathis’ Feet qui figure pourtant sur la liste de chansons qu’il avait prévues, posée à côté de lui (liste qu’il empochera jalousement à la fin, pour que nous ne la voyions pas !). Non, on va finir avec Why Won’t You Stay, avec un crescendo d’accords sur la guitare qui rappelle que ces chansons sont faites pour être jouées « en version électrique », avant que les derniers mots de tendresse et de désespoir sans fond s’éteignent.

Quand Mark quitte la petite scène et se réfugie dans l’ombre de la cuisine près des bouteilles de vin, je fais une chose que je ne fais jamais normalement : je viens vers lui, je lui prends la main, je le remercie. J’ai les yeux pleins de larmes, j’ai peur de le gêner, de le blesser peut-être, il est si fragile. Je prends la fuite, je laisse les autres fans l’approcher. Je sors dans la nuit froide.

Outside this bar, how does anyone survive ?

Texte : Eric Debarnot
Photos : Laurent Devoille

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