Retour sur le devant de la scène d’un genre musical longtemps décrié par ceux qui se souvenaient encore des excès des années 70, le rock progressif : on annonce à grand cris une nouvelle œuvre majeure qui viendrait s’inscrire au côté de ses plus grandes réussites, The Overview de Steven Wilson. Ce qui n’est pas si évident que ça…
Ah ! Le rock progressif (ou prog rock pour les intimes) ! Une vraie ligne de fracture sociétale chez les mélomanes et les rockers. Pour les passionnés du punk rock comme moi, qui ont jeté par la fenêtre fin 1976, début 1977, tous leurs disques de Genesis, Yes, ELP et autres, ne gardant que les impeccables King Crimson (Fripp jouait avec Bowie, quand même !) et Van Der Graaf Generator (Johnny Rotten citait Peter Hammill comme l’une de ses grandes influences vocales !), le mot de prog rock était devenu d’un jour à l’autre synonyme de musique de « has beens » prétentieux. Du côté du grand public, Pink Floyd (qui n’est pas tout à fait prog rock, c’est vrai) est devenu le groupe le plus important de son époque, Genesis a vendu des wagons de disques en faisant de la soupe. Pour les aficionados du genre, on imagine bien que la flamme a continué d’être entretenue au fil des décennies par un courant régulier de groupes qui n’arrivaient jamais tout à fait au niveau de leurs illustrissimes prédécesseurs, mais satisfaisaient les nostalgiques.
C’est au fil de la dernière décennie que les choses ont, insensiblement d’abord, commencé à changer, la musique étant évidemment un éternel recommencement. Le rock progressif s’est mis à nourrir de plus en plus nettement des courants musicaux comme le metal, bien sûr, mais aussi le rock psyché : après tout, certains des plus beaux disques de King Gizzard sont clairement remplis de morceaux progressifs ! Et, en parallèle, les fers de lance du prog rock pur et dur ont vu leurs audiences croître à nouveau, et n’étaient plus regardés de haut par les snobs et les critiques. L’un des noms les plus populaires en la matière est celui de Porcupine Tree, groupe à la crédibilité inattaquable, et justement, c’est son leader, Steven Wilson, devenu une figure emblématique du rock progressif moderne, qui fait en ce moment la une avec son huitième album studio, The Overview, sorti le 14 mars 2025. Un disque sur lequel s’extasie avec une unanimité touchante (… ou inquiétante, suivant là où on se place soi-même) comme le digne successeur des grands chefs d’œuvre des années 70. De quoi attirer l’attention de quiconque s’intéresse aux soubresauts musicaux : d’où la nécessité absolue d’aller écouter The Overview… de nombreuses fois bien sûr, puisqu’on imagine bien qu’on n’est pas devant un disque rempli d’une dizaine de chansons pop énergiques aux mélodies accrocheuses. Et d’où l’envie de répondre à la question : alors, beaucoup de bruit pour rien, ou pas ?
D’abord, il convient de distinguer la version « physique » du disque – préférable si l’on aime toujours s’immerger dans la musique comme on le faisait avant, sans l’interrompre, en se concentrant sur ce que l’on entend, en consacrant 40 minutes de son temps à l’expérience offerte – de la version digitale, qui propose également les morceaux saucissonnés en fragments écoutables à sa guise, pour les auditeurs modernes habitués à zapper. La version physique, « l’originale », est composée de deux morceaux de vingt minutes environ chacun, respectant donc l’esprit – et la forme – des classiques du prog rock : on remarque le choix offert par Steven Wilson entre la boule bleue et la boule rouge, rappelant évidemment celui entre la pilule bleue et la pilule bleue de Matrix (devenu, assez tragiquement, un code sur les réseaux sociaux…).
Wilson a expliqué que c’est la découverte de « l’effet de surplomb », qui a un puissant impact psychologique (cognitif même) sur les astronautes découvrant pour la première fois la Terre – si petite si fragile – depuis l’espace, qui lui a donné envie de revenir aux sources du rock progressif, dont il s’était parfois éloigné, pour composer deux suites musicales : Objects Outlive Us et The Overview.
Clairement, dès l’introduction de Objects Outlive Us, on est, en termes d’atmosphère « planante », « spatiale », du côté du Pink Floyd (qui a toujours été une référence pour Wilson) et de The Dark Side of the Moon en particulier. On retrouvera aussi ça et là des sonorités d’orgue – ou de saxophone, d’ailleurs, à la fin de The Overview – citant directement le travail du Floyd. Mais ce ne sont pas les seules « influences » que travaille ici Wilson : les connaisseurs aimeront – ou au contraire critiqueront – des citations du King Crimson, voire de Vangelis. Avec une différence notable, et c’est là le principal problème de l’album : l’absence et de mélodies incontournables, et de… moments forts. L’attention de l’auditeur peut facilement se perdre dans ce flot, parfois anodin en dépit de sa complexité, de mouvements musicaux plus « tarabicotés » que nécessaire… ce qui nous renvoie d’ailleurs aux critiques les plus souvent exprimées vis à vis du prog rock, quand la forme, sophistiquée, prend le pas sur le fond.
A propos de fond, nombreux sont les critiques britanniques ayant noté très positivement la participation de… Andy Partridge (oui, l’une de nos idoles absolues, Andy Partridge de XTC !) aux paroles de Objects : Meanwhile, qui, sur une mélodie plus évidente que les autres, mettent brillamment en perspective la banalité ordinaire – et tragique – de la vie quotidienne avec l’immensité de l’espace. « And there, in an ordinary street / A car isn’t where it would normally be / The driver in tears, ’bout his payment arrears / Still, nobody hears when a sun disappears / In a galaxy afar » (Et là, dans une rue ordinaire / Une voiture n’est pas là où elle serait normalement / Le conducteur est en larmes, à cause de ses arriérés de paiement / Pourtant, personne n’entend quand un soleil disparaît / Dans une galaxie lointaine). « Partridge touch » garantie pour ce passage de Objects Outlive Us qui est l’un des tous meilleurs de l’album.
La seconde suite musicale, The Overview, est plus originale et plus inégale. Wilson y adopte le point de vue d’un astronaute, et son épouse Rotem participe largement aux vocaux (elle récite ainsi des termes astronomiques sur une toile de fond électronique). Tout n’est pas passionnant dans les vingt minutes de The Overview, même si l’on souscrit au concept d’une nostalgie de la grande époque de l’aventure spatiale dans les années 70 (bien plus inspirante que les plans démentiels de ce taré de Musk avec son Space X. The Overview est certainement audacieux, et pousse plus loin les curseurs du prog rock, au delà parfois de notre zone de confort : mais, à notre goût tout au moins, avec son alternance de passages de pure splendeur et de constructions plus abstraites, et surtout avec une partie finale très introspective, il s’avère aussi beau qu’assez peu engageant émotionnellement.
En résumé, autant par ses ambitions que par le soin apporté à sa réalisation, l’album The Overview restera certainement comme un marqueur de l’année 2025, en particulier évidemment pour les adeptes du Prog Rock, mais il ne peut pas tout à fait prétendre s’inscrire durablement au Panthéon du genre.
Eric Debarnot
« Genesis a vendu des wagons de disque en faisant de la soupe » . Il faudrait
juste écouter les premiers albums avec Mr Peter Gabriel qui sont remarquables ainsi que ceux avec Mr Phil Collins jusqu’a « A trick of the tail »;on ne peut en aucun cas dire que c’est de la soupe,par contre il est vrai
que le « potage » commercial est arrivé vers le milieu des années 80 jusqu’en 92 mais la encore il y avait de bons morceaux,plus très prog c’est vrai..
Mais le progueux que je suis se devait de réagir,désolé !
Je suis fan de Genesis avec Peter, beaucoup moins ensuite, et je faisais évidemment référence dans mon article au Genesis commercial d’ensuite, que ni vous ni moi aimons ! Désolé si ce n’était pas clair.