« Vermiglio ou la mariée des montagnes » : À perdre la saison

Avec Vermiglio ou la mariée des montagnes, le cinéaste italien Maura Delpero, sans chercher à particulièrement innover, parvient néanmoins à construire un grand film, inspiré de l’histoire de sa famille.

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Les thématiques abordées par Vermiglio n’ont rien de foncièrement original : un village perdu dans la montagne italienne durant la deuxième guerre mondiale, et la vie austère des paysans qui y triment. Le sujet pourrait donner lieu à un lyrisme pastoral cher à Terrence Malick, ou facilement dériver vers le misérabilisme, tant les conditions d’existence y sont difficiles. Maura Delpero (à l’écriture et la réalisation), sans chercher à particulièrement innover, parvient néanmoins à construire un grand film, inspiré de l’histoire de sa famille.

vermiglio_ou_la_mariee_des_montagnesL’exposition du cadre se fonde sur un jeu des contrastes : si la nature reste majestueuse, on la filme avant tout pour souligner à quel point elle peut s’avérer hostile à ceux qui l’exploitent. La photo froide et laiteuse restitue avec force la rigueur de l’hiver, les intérieurs décatis, les textures brutes des habits de lin et la discipline imposée par les travaux agricoles. Il en ira de même dans la caractérisation des personnages, êtres complexes, qui endurent et ménagent, quand ils le peuvent, quelques menus élans du cœur, du corps ou de l’esprit. La famille, centrée autour du père instituteur, déploie ainsi des portraits d’une authenticité poignante, où la raison (l’instruction, la foi) le dispute à une passion modeste, très vite frappée du châtiment, que ce soit ceux que s’inflige la jeune fille à la foi fanatique, ou lorsque le destin viendra punir la protagoniste. À distance, la guerre fait son œuvre : par les absents qu’on attend, les lettres qui n’arrivent pas, le journal comme seul témoin d’une force tragique supplémentaire à ajouter à celles déjà à l’œuvre.

La figure du père concentre avec force ces contradictions. Rigoriste et intraitable lorsqu’il s’agit d’exiger le meilleur de ses enfants (terrible scène de remise des diplômes à la fin de l’année scolaire), c’est aussi un homme sensible, dont le tiroir sous clé révèle quelques faiblesses en mesure de l’humaniser. Son rapport à la musique, qu’il considère comme une nourriture de l’âme susceptible de pallier la faim de la maisonnée, génère ainsi parmi les plus belles scènes du film. Le lyrisme est rendu authentique par une musique intradiégétique, qui se diffuse auprès des élèves tandis qu’un montage alterné la propage sur toute la communauté. Sous les rigueurs de l’existence, le cœur palpite encore, et Maura Delpero aiguise un regard sensible pour le dévoiler : dans le regard des enfants, leurs longues et belles séquences de chuchotement au moment du coucher, où ils tentent de mettre en mot le monde qu’ils découvrent. Dans un baiser furtif et maladroit donné au bord d’une fontaine à l’eau glacée, ou l’apprentissage de l’écriture d’un analphabète, qui passera du dessin d’un cœur à la formulation plus développée de son amour. Le montage, finement ouvragé, ménage la plupart des transitions par chevauchement de séquence, le son de l’une anticipant sur l’image de la précédente. Dans ce monde en retrait, tout communique, tout circule, et les émois d’un membre de la famille entraînent des répercussions sur tous les autres.

Au sein de cette nature immuable, le drame est, au sens étymologique du terme, affaire de mouvement : les incartades faites à une société séculaire, rivée à une tradition religieuse, et qui pourrait promouvoir l’immobilisme – imposé notamment à Dino, le fils mal aimé à qui on ne promet aucun autre avenir que le travail des champs et la bouteille qui lui donnera l’illusion d’y échapper. Maura Delpero saisit, au sein de la picturalité universelle de ses plans, la craquelure du changement, les promesses colorées et inaccessibles d’un atlas, et la fin progressive d’un monde. Les crises traversées par les protagonistes se feront par la prise de parole (celle de la mère, qui tient tête au père lorsque son fils lui offre des fleurs), l’écriture et l’initiative des personnages. Mais le retour du tragique occasionnera aussi de violents silences, de la fratrie condamnée à l’inertie à la fin de l’école obligatoire, et du mutisme traumatique que s’infligera Lucia avant de pouvoir réaffronter l’existence. Le regard en surplomb d’une cinéaste aussi fascinée qu’admirative pour ce monde désormais perdu rendra justice à ces individus, et nous offre un des grands films de l’année.

Sergent Pepper

Vermiglio ou la mariée des montagnes
Film de Maura Delpero
Avec Tommaso Ragno, Giuseppe De Domenico, Roberta Rovelli…
Genre : Drame
Durée : 1 h 59 min
Date de sortie en salle : 19 mars 2025

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