Retour de l’octogénaire Mike Leigh au cinéma psychologique et dur qui a fait sa réputation, il y a déjà bien longtemps : relativement extrême, Hard Truths (Deux sœurs en français) pourra rebuter par ses choix, mais reste une très belle tranche de vrai cinéma.

Soyons francs, cela fait des décennies qu’on n’a pas vu un Mike Leigh, et ce d’autant que, même lors de la partie de sa carrière où il connut une certaine gloire (Naked, Secret & Lies, All or Nothing, Vera Drake… un certain nombre de films qui firent leur petit effet dans les festivals et même, toutes proportions gardées, dans les salles de cinéma), nous avons toujours été un peu rebutés par la noirceur de son propos, jamais loin d’un cynisme que nous jugions désagréable. Hard Truths (« de dures vérités », un titre original bien plus pertinent que le Deux sœurs, lénifiant et hors de propos, préféré en France) marque un petit mais notable retour de ce vieux combattant du « cinéma social anglais » (comme Ken Loach, mais dans un registre très opposé !). Mais Mike Leigh a-t-il changé ?
La nouveauté bienvenue de Hard Truths est de nous offrir une histoire se passant entièrement dans la communauté noire de Londres, ce qui permet à Leigh de renouveler de manière notable la tonalité de son cinéma, en intégrant et en filmant avec une vraie bienveillance des comportements différents de ceux qui ont nourri sa filmographie. Il y a une sorte de fraîcheur, d’énergie dans Hard Truths qu’on a toujours été bien en peine de trouver dans son cinéma, et c’est une excellente nouvelle, et ce d’autant que le casting, comme toujours avec Leigh, guidé d’une main de maître même dans les scènes les plus difficiles, est absolument resplendissant…
… Ce qui ne veut pas dire que Leigh ait abandonné sa célèbre dureté, son pessimisme radical, au contraire même. Car Hard Truths est le portrait de Pansy (Marianne Jean-Baptiste, remarquable à chaque minute où elle est à l’image), une femme en guerre contre le monde entier, et contre sa propre famille en premier : haïssant son mari plombier, méprisant son fils obèse et incapable d’affronter le monde réel, ignorant sa sœur et ses deux nièces, toutes les 3 solaires, qui se trouvent émotionnellement à l’opposé complet d’elle-même, Pansy a peur des oiseaux, des insectes, des plantes même, et ne peut survivre qu’enfermée dans sa maison qu’elle maintient d’une propreté clinique. Chaque fois qu’elle interagit avec le monde extérieur, pour faire ses courses ou aller chez le médecin ou le dentiste (deux scènes hilarantes de méchanceté et de violence), c’est pour déclencher de véritables batailles verbales avec ses interlocuteurs. Bien sûr, c’est le malheur et la tristesse qui sont responsables de cette haine tout azimut, mais existe-t-il une issue lorsqu’on s’est enfermé dans une telle impasse ?
Connaissant Mike Leigh, on se doute de la réponse finale – pour peu qu’on considère que le film ait une fin claire -, mais on sera surpris de voir que quelques moments d’émotion, quelques rayons de lumière perceront au milieu du tableau très, très noir que peint Hard Truths, en particulier dans la belle partie du cimetière, puis de la fête des mères, où quelque chose semble, au moins temporairement, se débloquer.
Mais, quelle que soit la leçon – forcément pessimiste – que Mike Leigh veut nous donner quant à l’état de la famille, et que l’on appréciera ou pas, Hard Truths est rempli de très beaux moments, où la maîtrise de la réalisation et de l’image, mais également de la direction d’acteurs, de Leigh font littéralement merveille… Au point où, parfois, c’est plutôt la « leçon de cinéma » que l’on retient. Ce qui n’est pas si mal.
Eric Debarnot