Direction la Malaisie, avec La maison des portes, de l’écrivain d’origine chinoise Tan Twan Eng. Un bel hommage à Somerset Maugham et à la splendeur passée des colonies britanniques.

Tan Twan Eng est un écrivain d’origine chinoise mais il est né en Malaisie en 1972. Il vit désormais en Afrique du Sud à Cape Town. Plusieurs de ses livres ont déjà été traduits en français.
Dans ce nouveau roman, La Maison des Portes, il met en scène le célèbre écrivain William Somerset Maugham (un peu has-been aujourd’hui mais c’est l’occasion de le (re-)découvrir) qui a longtemps sillonné l’Asie du Sud-Est et qui signa plusieurs nouvelles dont celle qui donna, dans les années 20, son titre au recueil intitulé Le sortilège malais.
Maugham était connu pour être homosexuel mais aussi appointé comme espion par l’Intelligence Service.
« […] Le paquet s’est déchiré et j’ai vu apparaître le coin d’un livre. J’ai détaché le papier pour lire le titre : Le Sortilège malais, de W. Somerset Maugham.
La table des matières énumérait une demi-douzaine de nouvelles. J’ai feuilleté le livre pour arriver à la dernière. En lisant à voix basse le premier paragraphe, j’ai été transportée instantanément en Malaisie. »
Je n’ai pu moi-même résister à l’appel du large et au plaisir de découvrir cette époque, cet écrivain et ce pays méconnus.
La traduction de l’anglais (Malaisie) est signée par Philippe Giraudon.
Sur la véranda d’une belle maison coloniale de Penang, où à l’heure dite « le gong du dîner retentit et vous invite à gagner la salle à manger », il y a là Lesley et Robert Hamlyn, des britanniques charmants qui accueillent dans les années 1920 le célèbre écrivain Somerset Maugham et son amant-secrétaire Gerald.
Dans les années 1910, ces hôtes charmants avaient même fréquenté Sun Yat Sen, le révolutionnaire chinois malchanceux (jusqu’à cette époque du moins : il finira tout de même par fonder le Kuomintang et présider la nouvelle république chinoise !).
Mais si, en apparence, les Hamlyn semblent former un couple parfait, qu’en est-il réellement ?
Et quel est le secret de cette maison des portes ?
« […] Les murs s’ornaient de battants de porte peints de fleurs et d’oiseaux, ou de montagnes embrumées.
— Je les ai prises dans des boutiques et des temples qu’on allait démolir, expliqua Arthur. J’ai toujours éprouvé un tel sihm-tnhia…
Il se servit du mot hokkien pour « peine de cœur ».
—… à l’idée qu’on allait en faire du bois de chauffage. Un jour, je me suis dit : pourquoi ne pas les acheter ? Ma grand-mère m’avait laissé cette maison, qui était restée vide. C’est l’endroit où j’entrepose mes portes. »
Tan Twan Eng nous offre un bel hommage aux années 20, à Somerset Maugham, à la splendeur passée du Commonwealth, au charme désuet et rétro des colonies britanniques.
Il n’est plus fréquent aujourd’hui de lire une belle prose classique : le style du roman est lui-même un hommage à Somerset Maugham, écrivain du siècle passé.
On peut évoquer L’histoire Birmane de Eric Arthur Blair (alias George Orwell) mais là où Orwell se montrait ironique et caustique, Tan Twan Eng nous invite plutôt à siroter « whiskys stengah et gins pahit » sur la « véranda profonde et ombreuse » de ces colons britanniques où il fait si bon vivre, si l’on veut bien ne pas lire entre les lignes.
Ce roman rend un bel hommage aux œuvres de Somerset Maugham et il y sera donc beaucoup question de relations dysfonctionnelles (comme on dit aujourd’hui) au sein de couples de la bonne société. L’homosexualité sera aussi largement évoquée, un sujet que Maugham évitait soigneusement dans ses œuvres, époque oblige.
« […] — Personne ne verrait rien d’extraordinaire à ce que des hommes comme vous restent célibataires toute leur vie.
— Après ce qui est arrivé au pauvre… Oscar Wilde ? »
Tout le roman est inspiré d’histoires vraies (y compris le procès de Ethel Proudlock) et c’est une lecture qui permet de découvrir la société britannique et ses colonies, la Malaisie, l’écrivain Somerset Maugham, les premiers soubresauts révolutionnaires en Chine et Sun Yat Sen.
« […] —Je ne puis qu’approuver Sun d’avoir choisi Penang pour y installer son quartier général. On y trouve des banques anglaises pour transférer des fonds partout dans le monde, un service de télégraphie et un…réseau de transport considérable.
—Vous parlez comme un vrai espion, dit Lesley en lui jetant un regard oblique. »
Avec une très belle fin, toute au service de la magnifique héroïne de ce roman un peu mélancolique : Lesley.
Bruno Ménétrier