Ce jeudi, notre chronique Tiens écoute ça ! est consacrée à The Mercy Seat, monstrueux morceau signature de Nick Cave, qui resplendit particulièrement interprété sur scène…
The Mercy Seat, ou la chanson signature de Nick Cave. Certes, Red Right Hand a été entendu dans une comédie trash déployant le génie de la mimique de Jim Carrey à son meilleur (Dumb and Dumber), dans une déconstruction marquante du slasher (Scream) et enfin dans une série gangstérienne britonne/hit mondial ayant eu un immense impact sur la mode masculine (Peaky Blinders). Et dans la première partie du film Harry Potter et les reliques de la mort, Harry Potter se met à danser avec Hermione lorsque la radio crache O Children.
Mais c’est ce morceau coécrit avec Mick Harvey qui incarne Cave en premier. Un morceau datant du temps de la tempête, du temps d’avant ces années 1990 où Cave commencera à faire des albums plus harmonieux, d’un impact à peu près égal sur la longueur et à s’assagir – les deux sont-ils liés ? Un morceau datant d’une décennie 1980 où les albums de Cave étaient en montagnes russes, mais où leurs sommets étaient beaux comme un volcan en éruption. Un incontournable sur scène depuis qu’il existe. Un morceau à propos duquel Cave déclara à Blixa Bargeld qu’à sa mort, il pourra dire qu’il a écrit The Mercy Seat.
Si The Mercy Seat est le morceau représentant à lui seul l’identité artistique de Cave, c’est parce qu’il est la plus puissante éruption d’un interprète dont les prestations scéniques comptent parmi les plus habitées de l’histoire de la musique. Une oeuvre tout sauf aimable mais qui marque de façon indélébile dès la première découverte.
Un morceau faisant partie des nombreux classiques de la musique anglo-saxonne du XXème siècle prenant le crime comme sujet (Midnight Rambler, Psycho Killer…). Un morceau dont le texte fut écrit à Berlin alors que Cave étant en panne d’inspiration dans l’écriture d’un roman (qui deviendra Et l’Âne vit l’Ange).
Le It began when (cela a commencé quand) débutant le morceau témoigne de cette filiation littéraire assumée. Le morceau aurait en effet pu commencer dans le feu de l’action, comme un bon vieux morceau country/folk/blues inspiré d’un fait divers, par le they come took me from my home (ils sont venus et m’ont arraché à ma maison). Mais non, il s’ouvre en usant d’un procédé récurrent de la littérature moderne du XXème siècle : une phrase qui interpelle un public imaginaire tout en rappelant que tout ceci n’est que littérature.
Dans The Mercy Seat, que le narrateur attendant son exécution sur la chaise électrique soit ou non coupable importe peu. Le doute autour du contenu du monologue intérieur du condamné est omniprésent et volontaire. Ce dernier commence par se dire nearly wholly innocent. Presque totalement innocent. Aveu involontaire de culpabilité ?
Puis l’entendre dire qu’il n’a pas peur de mourir fait encore plus douter de sa sincérité. Car le And I’ll say it again (et je le redis) qui précède cette déclaration de stoïcisme face à la mort sent un désir de s’autopersuader pour affronter l’inéluctable. Plus loin, la main sur laquelle est tatoué E.V.I.L. (la part de Mal) est tenue comme responsable du crime. Et c’est l’autre main qui est blâmée pour ne pas avoir su empêcher le crime d’être commis.
Quant au Mercy Seat du titre… C’est le propriatoire, le siège de la présence et du pardon de Dieu. Et la chaise électrique bien sûr. Le narrateur pense-t-il aller au Paradis parce qu’il est innocent ? Ou, dans l’hypothèse de sa culpabilité, que la souffrance de l’exécution capitale va le purifier, le rapprocher du Christ et lui ouvrir les portes du Ciel ? Avant qu’en toute fin de morceau le narrateur reconnaisse avoir menti. Sur son innocence ? Sur sa sérénité face à la mort prochaine ?
Ce qui compte au fond, ce sont les tourments du narrateur face à sa part de mal, face à ses fautes réelles ou pas et sa peur de la mort. Une perspective universelle donnant envie de relier le morceau au propre esprit torturé et au goût pour certaines substances illicites du Cave de l’époque.
Le motif des deux mains tatouées Love et Hate de Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur, déjà présent via la main tatouée E.V.I.L., est de nouveau visité par le monologue du narrateur, lorsqu’une alliance avec l’inscription G.O.O.D. est portée par la main du Diable.
Le personnage ironise en outre sur le parallèle entre la crucifixion de Jésus et le métier de charpentier du Christ. La vengeance (an eye for an eye and a tooth for a tooth – Œil pour œil, dent pour dent) est là, bien sûr. Au milieu des sensations désordonnées du deuxième couplet, le narrateur hallucine le Christ dans une assiette de soupe, élément pouvant évoquer la prise de drogues (du Cave de l’époque ?).
Le morceau finit sur la longueur par ressembler à un long prêche, au fur et à mesure qu’il répète son refrain (And the mercy seat is waiting…), avec des variations. Une fin qui pourrait continuer à l’infini, interminable comme l’attente du condamné, comme le couloir parcouru avant d’arriver à une exécution peut-être libératrice.
Le morceau sera très vite retravaillé par Nick Cave qui en donnera des versions acoustiques, au piano, parlées jusqu’à l’ampleur symphonique des versions live de la formation actuelle des Bad Seeds. Mais le son de la version studio devait tout à un accompagnement musical dont la sensibilité industrielle était raccord du Berlin-Ouest de la fin des années 1980 au cours de laquelle il a été enregistré. Un Mick Harvey frappant les cordes de sa basse avec une baguette de batterie et dont le piano métronomique rajoute au côté menaçant du morceau. Le son tordu de la guitare slide de Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten), le rythme de fanfare déglingué de Thomas Wydler (Die Haut) et les angoissantes cordes de Gini Ball, Audrey Riley et Chris Tombling, parfaitement synchrones de la paranoïa du narrateur de la chanson.
A part ça, le morceau a été repris par Johnny Cash de manière moins géniale que l’autre « chef d’oeuvre industriel » Hurt (et en remplaçant de façon débattable nearly wholly innocent par totally innocent). Mais Dieu avait signalé à son fils qu’il l’avait reconnu. Un fils qui n’a pas dissimulé sa fierté.
Ordell Robbie
The Mercy Seat – les paroles :
It began when they come took me from my home
And put me in Dead Row,
Of which I am nearly wholly innocent, you know.
And I’ll say it again
I..am..not..afraid..to..die.
(Cela a débuté quand ils sont venus, m’ont arraché à ma maison / Et m’ont mis dans le couloir de la mort / Pour un crime dont je suis presque totalement innocent, vous savez / Et je le redis / Je n’ai pas peur de mourir)
I began to warm and chill
To objects and their fields,
A ragged cup, a twisted mop
The face of Jesus in my soup
Those sinister dinner meals
The meal trolley’s wicked wheels
A hooked bone rising from my food
All things either good or ungood.
(J’ai commencé à me réchauffer et à frissonner / Aux objets et à leurs champs / Une tasse fêlée, un balai tordu / Le visage de Jésus dans ma soupe / Ces sinistres distributions de repas / Les roulettes du chariot / Un os qui émerge de la nourriture / Toutes choses bonnes ou mauvaises)
[Chorus]
And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I’m yearning
To be done with all this measuring of truth.
An eye for an eye
A tooth for a tooth
An anyway I told the truth
And I’m not afraid to die.
(Et le siège de la pitié attend / Et je crois que ma tête brûle / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec toute cette mesure de la vérité / Œil pour œil / Dent pour dent / Et de toute façon j’ai dit la vérité / Et je n’ai pas peur de mourir)
Interpret signs and catalogue
A blackened tooth, a scarlet fog.
The walls are bad. Black. Bottom kind.
They are the sick breath at my hind
They are the sick breath at my hind
They are the sick breath at my hind
They are the sick breath gathering at my hind
(J’interprète les signes et je les catalogue / Une dent noircie, un brouillard écarlate / Les murs sont abîmés et noirs / Je sens leur haleine maladive derrière moi / Je sens leur haleine maladive derrière moi / Je sens leur haleine maladive derrière moi / Je sens leur haleine maladive se rassembler derrière moi)
I hear stories from the chamber
How Christ was born into a manger
And like some ragged stranger
Died upon the cross
And might I say it seems so fitting in its way
He was a carpenter by trade
Or at least that’s what I’m told.
(J’entends des histoires dans la chambre / Sur le Christ qui est né dans une étable / Et comme un étranger en haillons / Est mort sur la croix / Et si je me le permets, ça me semble très approprié / Il était charpentier de métier / En tout cas c’est ce qu’on m’a dit)
Like my good hand I
Tattooed E.V.I.L. across it’s brother’s fist
That filthy five! They did nothing to challenge or resist.
(Comme ma bonne main J’ai / tatoué M.A.L. sur son frère de poing / Ces cinq vauriens ! / Ils n’ont rien fait pour protester ou résister)
In Heaven His throne is made of gold
The ark of His testament is stowed
A throne from which I’m told
All history does unfold.
Down here it’s made of wood & wire
And my body is on fire
And God is never far away.
(Au Paradis son trône est d’or / L’Arche de son Testament est rangée / Un trône depuis lequel d’après ce qu’on me dit / L’Histoire entière se déroule / Ici-bas c’est fait de bois et de fils électriques / Et mon corps est en feu / Et Dieu n’est jamais très loin)
Into the mercy seat I climb
My head is shaved, my head is wired
And like a moth that tries
To enter the bright eye
I go shuffling out of life
Just to hide in death awhile
And anyway I never lied.
(Dans le siège de la pitié je grimpe / Ma tête est nue, ma tête est couverte de fils / Et comme un papillon de nuit qui essaie / D’entrer dans l’œil étincelant / Je quitte la vie / Juste pour me cacher dans la mort pour un moment / Et de toute façon je n’ai jamais menti)
My kill-hand is called E.V.I.L
Wears a wedding band that’s G.O.O.D
‘Tis a long-suffering shackle
Collaring all that rebel blood.
(Ma main tueuse se nomme M.A.L. / porte une bague de mariage nommée B.I.E.N. / C’est une douloureuse chaîne / Encerclant tout ce sang rebelle)
[Chorus]
And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I’m yearning
To be done with all this measuring of truth.
And an eye for an eye
And tooth for a tooth
And anyway I told the truth
And I’m not afraid to die.
(Et le siège de la pitié attend / Et je crois que ma tête brûle / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec toute cette mesure de la vérité / Et oeil pour œil / Et dent pour dent / Et je n’ai plus rien à perdre / Et je n’ai pas peur de mourir)
[Chorus]
And the mercy seat is burning
And I think my head is glowing
And in a way I’m hoping
To be done with all this weighing up of truth.
An eye for an eye
And a tooth for a tooth
And I’ve got nothing left to lose
And I’m not afraid to die.
(Et le siège de la pitié brûle / Et je crois que ma tête brille / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec avec toute cette mesure de la vérité / Œil pour œil / Et dent pour dent / Et je n’ai rien à perdre / Et je n’ai pas peur de mourir.)
And the mercy seat is glowing
And I think my head is smoking
And in a way I’m hoping
To be done with all these looks of disbelief.
An eye for an eye
And a tooth for a tooth
And anyway there was no proof
Nor a motive why.
(Et le siège de la pitié brille / Et je crois que ma tête fume / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec tous ces regards incrédules / Oeil pour oeil / Et dent pour dent / Et de toute façon il n’y avait pas de preuve / Ni de mobile.)
[Chorus]
And the mercy seat is smoking
And I think my head is melting
And in a way I’m helping
To be done with all this twisting of the truth.
A lie for a lie
And a truth for a truth
And I’ve got nothing left to lose
And I’m not afraid to die.
(Et le siège de la pitié fume / Et je crois que ma tête fond / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec toute cette torsion de la vérité / Mensonge pour mensonge / Et vérité pour vérité / Et je n’ai rien à perdre / Et je n’ai pas peur de mourir)
[Chorus]
And the mercy seat is melting
And I think my blood is boiling
And in a way I’m spoiling
All the fun with all this truth and consequence.
An eye for an eye
And a truth for a truth
And anyway I told the truth
And I’m not afraid to die.
(Et le siège de la pitié fond / Et je crois que mon sang bout / D’une manière avec laquelle je gâche / mon plaisir avec cette vérité et ces conséquences / Œil pour œil / Et vérité pour vérité / Et de toute façon j’ai dit la vérité / Et je n’ai pas peur de mourir)
[Chorus]
And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I’m yearning
To be done with all this measuring of proof.
A life for a life
And a truth for a truth
And anyway there was no proof
But I’m not afraid to tell a lie.
(Et le siège de la pitié attend / Et je crois que ma tête brûle / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec toute cette mesure de la preuve / Vie pour Vie / Et vérité pour vérité / Et de toute façon il n’y avait pas de preuve / Et je n’ai pas peur de raconter un mensonge)
[Chorus]
And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I’m yearning
To be done with all this measuring of truth.
An eye for an eye
And a truth for a truth
And anyway I told the truth
But I’m afraid I told a lie.
(Et le siège de la pitié attend / Et je crois que ma tête brûle / D’une manière de laquelle j’espère / en avoir fini avec toute cette mesure de la vérité/ Œil pour œil / Et vérité pour vérité / Et de toute façon j’ai dit la vérité / Mais j’ai bien peur d’avoir menti)
Source: nickcave.com. Texte ne correspondant exactement ni à la version single, ni à celle plus longue de l’album. Comme tous ceux trouvables sur la toile d’ailleurs. Mais vu que le texte subit souvent des variations sur scène, nevermind.