Le classique de Gaston Leroux, Le Fantôme de l’Opéra, trouve avec les frères Brizzi une adaptation qui lui fait honneur, tout en immergeant le lecteur dans les profondeurs oniriques et intemporelles de l’Opéra.

Paris, 1890. Depuis quelques temps, l’Opéra Garnier semble être la proie d’une malédiction. La soprano Carlotta, atteinte de narcolepsie, ne peut assurer la première du Faust de Gounod, tandis qu’un machiniste est retrouvé pendu dans la réserve le même soir. La rumeur selon laquelle un fantôme hantant les lieux serait à la manœuvre repart de plus belle…
Je l’avouerai tout de go, je n’ai jamais lu aucune œuvre de Gaston Leroux. Du Fantôme de l’Opéra, devenu référence incontournable de la pop culture, je connais surtout la comédie rock flamboyante de Brian de Palma, Phantom of the paradise. Coutumiers des adaptations en bande dessinée, les frères Brizzi se sont emparés du roman avec un certain brio. L’histoire originale restant en elle-même assez simple, on peut affirmer sans trop se tromper que ce n’est pas à cet endroit que résidait le plus gros défi pour une adaptation. Et sur ce plan les auteurs semblent avoir respecté le scénario original dans sa linéarité, lequel raconte l’histoire d’un homme reclus dans les profondeurs du palais Garnier, dissimulant son visage monstrueux derrière un masque et amoureux d’une jeune cantatrice.
La performance se situerait donc plutôt au niveau du dessin, et ici, force est de reconnaître que les jumeaux ont excellé. Leur style en crayonné noir et blanc est d’une beauté sans failles, parvenant à immerger le lecteur dans cette ambiance fin XIXe, nimbée de fantastique, alors que la littérature de l’époque assistait à l’éclosion du genre, notamment en France avec Guy de Maupassant ou Jules Verne, et dans les pays anglo-saxons avec H.G Wells, Mary Shelley, Bram Stocker, et bien sûr Edgar Allan Poe ou H.P. Lovecraft.
Les cases se laissent admirer et s’apparentent à des tableaux lorsqu’elles s’épanouissent en pleine page. D’ailleurs, ne pourrait-on pas voir dans ce cheval blanc sortant de l’obscurité (p.98) une référence au Cauchemar de Füssli ? C’est avec un plaisir teinté d’effroi que l’on pénètre dans les coulisses obscures puis dans les caves profondes de ce palais Garnier magnifiquement représenté, avec un soin apporté aux détails, notamment pour l’architecture des lieux ou les sculptures baroques ornant la salle de spectacle. Tout cela est grandiose et juste bluffant.
Au milieu de ces décors très réalistes, évoluent des personnages expressifs dont certains par leur aspect évoqueraient les caricatures d’Honoré Daumier, aux pifs protubérants et bedaines en avant… On ne s’attardera pas sur la consistance des protagonistes, mais à l’exception du personnage d’Erik le fantôme lui-même, qui se révèle le plus émouvant de l’histoire, on se moque un peu, il faut bien le dire, de savoir si leur profil correspond à l’œuvre originale, subjugués sommes-nous devant la splendeur graphique de l’objet.
Si Le Fantôme de l’Opéra se veut un hommage à l’œuvre de Leroux (qui est aussi le récit touchant d’un amour impossible), c’est une réussite, tout au moins sur le plan du dessin — pour le reste, ceux qui ont lu l’œuvre originale seront mieux à même de juger, pour les autres, on a affaire à une lecture fluide et plaisante. Et si d’hommage il est question, cette adaptation en est incontestablement un, formidable, au célèbre bâtiment conçu par Charles Garnier.
Laurent Proudhon
Le Fantôme de l’Opéra
D’après le roman de Gaston Leroux
Scénario & dessin : Gaëtan et Paul Brizzi
Editeur : Futuropolis
160 pages – 26 €
Parution : 15 janvier 2015
Le Fantôme de l’Opéra — bande annonce :