Se plonger dans Anzuelo tient d’une véritable expérience, déconcertante, puis dérangeante, dont l’on ressort transformé. Un récit envoûtant sur la vie et la nature.

Tandis qu’il enfile des appâts sur le pont du bateau de son grand-père, le jeune Nubero déclare que les vers et les hommes partagent le même système nerveux, « conçu pour chercher de la nourriture ou des partenaires, comprendre le danger et ressentir des émotions ». Un tsunami se lève et emporte la ville. Il se réveille sur une plage. La mer est toute proche et deux enfants, Izma et Lucio, l’observent. Une trombe humanoïde se lève dans l’océan, ouvre ses mains et déverse des poissons. Les enfants fuient. Izma court, tenant par la main Nubero, qui soudain disparait.
Nous retrouvons les enfants toujours seuls. Leur réalité s’altère. Je vais comprendre. Ne suis-je pas venu à bout d’Ubik et de la série Lost ? Les pages filent. Lucio se découvre des branchies et part vivre sous l’eau. Afin de chasser et de nourrir ses amis, Izma se métamorphose en oiseau. Pourquoi pas… D’autres gamins apparaissent, puis disparaissent. La mer est partout. Tous tentent de vivre sans attenter à la vie qui les entoure… Ma raison vacille.
Je crois qu’il s’agit d’accepter Anzuelo en se détachant de la raison. D’ailleurs, plus sages que moi, les enfants observent un monde qui n’est plus le nôtre, sans chercher à le comprendre.
Emma Ríos travaille à l‘aquarelle. Son trait est fin, mais certaines séquences se brouillent. Les scène aériennes ou sous-marines ne se distinguent plus. Seuls les poissons et les marsouins apportent des précisions d’échelle et de milieu. Je saisis des formes et oppositions de couleurs, sans identifier les personnages, ni même saisir le sens de leurs actions.
Afin de mieux comprendre, j’ai tenté de relire. Mal m’en a pris, j’ai pénétré dans un univers différent. Anzuelo est polymorphe.
Le monde et les dialogues rappellent ceux de Stalker, le roman des frères Strougatski, mis en images par Andreï Tarkovski ou de Solaris du même Tarkovski, tiré de l’œuvre de Stanisław Lem, ou, plus déroutant encore, les films les plus abscons de Terrence Malick.
Je crois qu’il y est question de la vie et de la nature. Tels de grands singes, ces enfants vivent en paix et en harmonie dans un monde, qui restera, à leurs yeux et aux nôtres, insaisissable. J’y retourne.
Stéphane de Boysson
Anzuelo
Scénario et dessin : Emma Ríos
Éditeur : 404 Graphic
312 pages – 28,90 €
Parution : 23 janvier 2025
Anzuelo — extrait :
