Un virus s’abat sur l’Europe obligeant les gouvernements à confiner l’ensemble de la population afin de se protéger des contaminés métamorphosés en zombies. Qu’un sang impur de Michaël Mention revisite l’épidémie du Covid-19 à la sauce Walking Dead. Sanglant et sans pitié pour ses personnages, ce conte moderne et trash est une nouvelle réussite de cet écrivain touche-à-tout.

Comment présenter Michaël Mention à un lecteur qui n’aurait jamais eu le plaisir de se plonger dans un de ses livres ? Refusant de s’enfermer dans un (mauvais) genre, l’écrivain semble avoir choisi de tous les pratiquer : roman noir, polar historique, western, etc. Michaël Mention s’essaie à tout avec une même ambition : celle de se/nous faire plaisir. Qu’un sang impur, son nouveau livre, obéit à cette règle : évoquer le confinement de 2020 mais en le revisitant par le prisme du récit de zombie.
A la suite d’une catastrophe naturelle, un terrible virus s’abat sur l’Europe. Les malades-contaminés se transforment alors en monstres-cannibales avides de chair humaine. Face à l’horreur, une seule solution : le confinement. Manouk Borzakian l’avait très bien montré dans son essai, Géographie zombie, les ruines du capitalisme (Playlist Society, 2019) : les histoires de morts-vivants sont avant tout une question d’espace. Et c’est bien de cela dont il est question dans Qu’un sang impur : pour échapper au danger, les personnages du roman doivent s’enfermer et cohabiter. On découvre alors une galerie de personnages, bien différents des Rick, Daryl ou Michonne que les amateurs de zombies connaissent bien. Matt et Clem vivent avec leur fils Simon dans un confortable loft au troisième étage d’un petit immeuble parisien. Lui travaille pour une banque, elle est professeure des écoles. Leur appartement est au dernier étage de la résidence, ils s’y enferment donc avec leurs voisins des étages inférieurs pour se protéger des monstres : il y a là un écrivain un peu misanthrope, une vieille acariâtre tendance complotiste, mais aussi Yazid, sa femme et leurs enfants… Seuls Joël et sa femme sont restés dans leur appartement : elle a Alzheimer et son mari veut la protéger en lui cachant la vérité…
Mais comment cohabiter quand la menace est si dangereuse et que la canicule s’abat sur la capitale ? Comment se supporter quand la peur de la contamination ne fait que croître ?… Qu’un sang impur est donc un étonnant récit apocalyptique dans lequel la tragédie en cours est vécue de l’intérieur (et à l’intérieur). Et ce n’est donc que par la télévision et les allocutions du président que les personnages et les lecteurs prennent conscience de l’effondrement du monde.
La première chose qui frappe lorsque l’on entame la lecture du roman, c’est son incroyable efficacité : il ne faut que quelques paragraphes à Michaël Mention pour nous plonger dans ce cauchemar qui paraît si effrayant et pourtant si familier. La scène d’émeute qui ouvre le livre nous happe immédiatement, et le récit ne nous relâchera plus. Pourtant lorsqu’il enferme ses personnages, on se dit que Michaël Mention va sans doute avoir du mal à maintenir une telle tension entre les quatre murs de l’appartement… Qu’on se rassure, le roman ne faiblit jamais et, jusque dans ses dernières pages, il reste aussi haletant qu’imprévisible. On imagine (peut-être à tort) que l’écrivain a retenu des meilleures séries leur sens du suspense et de la narration. Qu’un sang impur, à l’instar de certaines de nos séries préférées, parvient en effet à nous captiver par la somme de ses péripéties, tout en creusant les portraits de personnages que l’on aurait pu juger un peu simplistes au départ. On découvre ensuite qu’il n’en est rien et que Matt, Clem et les autres vont révéler au fur et à mesure du récit des failles et des zones d’ombre parfois inimaginables.
Par ailleurs, on sent le récit tout entier parcouru des colères de son auteur. Par la voix de ses personnages – et parfois par celle de son narrateur –, Michaël Mention assène quelques coups de gueule contre une époque malade et un monde qui ne tourne plus tout à fait rond. Et si l’on perçoit du début jusqu’à la fin sa profonde humanité – en dépit des atrocités qu’il réserve à ses personnages – on devine aussi sa lassitude (et sa colère donc) devant la bêtise, l’égoïsme et la cruauté dont certains d’entre nous sont hélas capables.
Qu’un sang impur est donc une très réjouissante et sanglante relecture de notre actualité récents. Espérons en revanche qu’il ne s’agisse pas également d’une terrifiante prophétie.
Grégory Seyer