« L’avocat du diable » de Jean-François Pasques : un polar sensible sur fond de féminicide

Jean-François Pasques, c’est le flic « psychologue » de la PJ. Ses polars sont toujours écrits avec beaucoup de finesse et cherchent à pénétrer l’intimité des personnages à travers leurs mensonges ou leurs aveux. L‘avocat du diable évoque avec sensibilité le sujet du féminicide.

© Patrice Normand – Leextra – Editions Fayard

Cet auteur occupe une place un peu à part dans le paysage du polar français. On l’avait découvert en 2022 avec Fils de personne, le succès qui lui a valu sa notoriété. On le retrouve ici avec L’avocat du diable, un roman qui aborde le sujet du féminicide et plus généralement des violences faites aux femmes. Sujet délicat mais hélas toujours d’actualité. Si Jean-François Pasques est toujours dans la police (à Nantes), il a d’abord été flic à la PJ de Paris, celle-là même qu’il met en scène dans ses romans.

On a plaisir à retrouver là le commandant Julien Delestran héros récurrent, toujours accompagné de sa jeune protégée, la lieutenante Victoire Beaumont, et de la psychologue de la PJ, Claire Ribot. Dans le box des accusés, on va trouver Dominik Jean, alias DJ. Celui qui va être soupçonné de viol est une célébrité du monde des lettres et du monde tout court : on se retourne sur lui dans la rue pour le dévisager ou obtenir une dédicace.
« Écrivain à succès. Son talent avait été reconnu par l’obtention de nombreux prix littéraires prestigieux. Chevalier des arts et des lettres. Il avait refusé la Légion d’honneur ». Il fut même un temps « vice-consul à Buenos Aires ».
JF. Pasques a fait ça bien et le lecteur visualise immédiatement une figure ou une autre parmi celles qui ont fait les gros titres ces dernières années. Et il n’en manque pas.
« […] – On ne peut pas rester insensible à ce qu’il est.
– C’est-à-dire ?
– Un homme remarquable. Au sens premier du mot : qui attire l’attention. »

Ce fameux, inénarrable, incorrigible « DJ était capable du pire pour s’attribuer les faveurs des femmes, cependant rien n’était répréhensible au niveau du Code pénal. Absence de violence, de contrainte, de menace ou de ruse, tout reposait encore une fois sur l’emprise qui avait conduit ses proies à lâcher prise ». Il est « irritant, cynique et particulièrement odieux », c’est « un grand malade qui joue les seigneurs », les qualificatifs ne manquent pas, un « grand manipulateur », un « séducteur compulsif » : « la perversité narcissique mise en forme dans un piège diabolique ». Ouf.

Ce jour-là, la PJ parisienne est en émoi : c’est une femme qui va prendre la tête du 36, la commissaire Rachel Delépine. Madame Delépine n’est pas la bienvenue dans ce monde viril d’autant que l’une de ses premières décisions est de mettre au placard le commandant Delestran, après une ‘bavure’ policière cause d’un dommage collatéral parmi les civils. C’est donc l’adjointe de Delestran, la lieutenante Victoire Beaumont, qui prend la tête du ‘groupe’ avec lequel elle va enquêter sur un meurtre de femme. Au fond de son placard, Delestran se voit confier un dossier franchement casse-gueule : un écrivain-diplomate (le fameux DJ, véritable célébrité médiatique, connue de tout le monde) est accusé de viol par l’une de ses conquêtes. Mais la dénonciation arrive sept ans après les faits et il n’est pas facile de vérifier les affirmations de l’une ou de l’autre. De son côté Victoire Beaumont enquête sur un meurtre et va bientôt trouver un coupable idéal : mais est-ce vraiment aussi simple que cela ? Alors, qui a donné son âme au diable et qui va devoir endosser la robe de l’avocat du diable ?

Écrivain, policier : voilà deux métiers qui, pour notre plus grand plaisir, nous valent quelques bonnes lectures. Mais derrière ces deux métiers de Jean-François Pasques, s’en cache peut-être un autre : celui de psychologue. Car ce qui intéresse cet auteur, adepte de Simenon, c’est bien d’aller explorer ce qui se cache au fond de l’âme humaine, de pénétrer dans l’intimité des gens à travers leurs mensonges ou leurs aveux – il a le goût des autres, comme il le dit lui-même. Et comme il le fait dire à son alter ego, le commandant Delestran, héros de ses romans : il cherche à « assouvir sa petite vanité d’approcher le secret des choses dans les rapports humains, son appétence de curiosité humaine ». Cette perspective singulière, ce regard sensible, font de ses romans policiers des curiosités à ne pas manquer dans un genre souvent convenu.
« […] Vous m’intéressez, commandant. Je ne pensais pas qu’un policier puisse avoir une aussi fine analyse. Mais, dites-moi, j’ai affaire à un policier ou à un psychologue ? »

Voilà un roman policier avec, pour une fois, des hommes qui aiment les femmes, pour paraphraser un titre célèbre dans ce genre littéraire. On l’a dit, Jean-François Pasques aborde le difficile sujet du féminicide dans ce roman. Mais il ne peut résister à faire le lien avec le précédent (Fils de personne) qui évoquait les naissances sous X : ici dans ce nouveau roman, l’un des personnages ne connait pas ses parents : « abandonné le jour de sa naissance à la maternité de l’hôpital Pasteur, DJ avait été élevé par l’Assistance publique ».

Le personnage de DJ est une sacrée trouvaille, cet odieux mais fascinant bonhomme est « un vrai personnage de roman » (ah, ah) soigneusement exploité tout au long de l’enquête policière. À moins que tout cela ne soit un bel écran de fumée pour égarer le lecteur et masquer ce qui se trame dans les rangs mêmes de la police ?
« […] –Vous avez peur ?
– Oui. J’ai toujours un peu peur des choses qui se passent entre un homme et une femme.
– Je comprends.
– Je n’en doute pas. »

Alors, petit coup de cœur pour ce livre, écrit avec finesse, qui propose différentes lectures et réserve quelques surprises comme cet épilogue que l’on ne voit pas vraiment venir.

Bruno Ménétrier

L’avocat du diable
Roman de Jean-François Pasques
Editeur : Fayard
496 pages – 22,90 €
Date de parution : 2 avril 2025

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