[Live Report] Anna B. Savage et Daudi Matsiko à Petit Bain : venue des terres de tourbe…

Petit Bain accueillait ce dimanche Anna B. Savage, autrice d’un des meilleurs albums de l’année. L’occasion de confirmer sur scène tout le bien que l’on pense de l’Anglaise qui a « émigré » par amour en Irlande.

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Anna B Savage à Petit Bain – Photo Robert Gil

Pas vraiment un cadeau d’offrir à une artiste aussi fragile une date un dimanche soir, qui plus est de vacances scolaires. Ce soir, les amateurs de folk  comme de pop sont en partie en vacances. Nous aussi, puisque nous avons décidé d’embarquer avec Anna B. Savage vers des contrées lointaines, des landes brumeuses aux confins du nord de l’Angleterre, ou de l’Irlande, à moins que ce ne soit plutôt le nord de l’Irlande, ce Donegal où la jeune autrice-compositrice a élu domicile ces derniers temps, par amour. Des terres de tourbe, d’elfes et de rugby, d’amours déçues et de retrouvailles, en gaélique ou en anglais à l’accent rouillé. Quoi de plus naturel, dès lors, que de retrouver Anna B. Savage à Petit Bain à Paris ?

Daudi Matsiko à Petit BainCe soir, pas d’elfes au programme mais tout d’abord un gentil colosse, Daudi Matsiko, timide sous sa casquette, seul avec sa guitare et quelques effets, qui nous cueille avec quelques chansons douces, concluant par une reprise de Terry Callier (« J’aimerais écrire des chansons aussi belles ») et par la poignante Hymn, extraite de son album King of Misery, sorti il y a un an, écho à un état dépressif ancien, et alternant There’s a hope inside of me et There’s no hope inside of me (Il y a / il n’y a pas un espoir en moi).

Se déclarant grand fan d’Anna B. Savage, et heureux de partager sa tournée sur le continent européen, il cède vite la place à l’autrice-compositrice et son groupe, qui, suite à la sortie de son troisième album You & I Are Earth sorti en janvier, remplit les salles au Royaume-Uni, où elle a terminé récemment une tournée triomphale dans la magnifique salle de l’Union Chapel à Londres. Il est 21h20, Anna B. Savage s’installe avec sa guitare, sur scène à gauche – du point de vue du public -, accompagnée du bassiste Peter Darlington, au centre, et du batteur Joe Taylor, côté droit. Ce soir, Genevieve Dawson, aux claviers, n’est pas présente, contrairement aux dates britanniques.

Anna B Savage Petit BainAnna B. Savage ne s’en laisse pas compter par son instrument et donne le change au public, en bonne partie britannique, ouvrant avec un morceau de chacun de ses albums, chronologiquement : Corncrakes, de son premier essai, pour débuter, Hungry, sommet délicat du deuxième, Mo Cheol Thú, enfin, du dernier, et qu’elle introduit en expliquant que le fait de s’être installée sur une nouvelle terre, l’Irlande, lui a permis de prendre du recul quant à l’histoire, et le fait que la culture et la langue gaéliques « ont été basiquement détruites par la colonisation britannique ». C’est dit posément, en souriant, c’est politique, et cela nous rappelle que, parfois, un concert peut l’être, même un dimanche soir à Petit Bain. La musicienne va enchaîner les morceaux de son dernier ouvrage, avec un brelan I reach for you into my Sleep, Lighthouse, Talk to me : trois sommets de délicatesse, où domine sa voix, pour laquelle l’adjectif vibrionnant semble avoir inventé. Mais on y prend aussi le temps d’admirer sa section rythmique à l’œuvre, tout en délicatesse, pour donner une profondeur bienvenue au chant, avec leurs chœurs discrets, alternés ou ensemble, et aux mélodies : Peter Darlington jouant souvent de la basse à l’archer, et Joe Taylor usant d’une gamme variée de balais et de baguettes, caressant ses fûts de diverse manière, et montant en puissance progressivement, jusqu’à être très présent dans le son de la deuxième partie du concert.

Anna B. Savage a introduit Talk to me avec des mots très simples, explicitant les paroles autobiographiques : elle explique comprendre que, pour ceux qui la suivent, « ce doit être troublant en termes de narratif, entre l’album précédent et le nouveau », bref du célibat au couple, « C’était super être célibataire, mais… Cette chanson essaye d’expliquer ce qui s’est alors passé ». Crystal clear !

Anna B Savage Petit Bain 03La deuxième partie du concert sera composée surtout de titres plus rythmés d’in|FLUX, venus donner un contrepoint bienvenu aux très feutrés morceaux du dernier album : Say My Name, avec ses musiciens de plus en plus en feu, Pavlov’s Dog, in|FLUX, où la chanteuse danse comme possédée, finissant par terre, dans une convulsion inattendue. Passé ce moment « rock », la fin du concert, symétriquement à son introduction, comportera une chanson de chacun de ses albums : A Common Tern, assez jazzy, You & i are Earth, titre éponyme de l’album, porté par la voix de la chanteuse, montant dans aigus depuis son fond grave, Donegal, déclaration finale à sa terre d’élection et d’amour.

Il est temps de finir ce dimanche soir hors du temps, et la musicienne nous a prévenus en souriant du retour sur terre, en soulignant avoir réalisé elle-même le graphisme des produits vendus au stand merchandising, où elle officiera quelques minutes après de bon cœur. Sur scène, succès d’estime pour la casquette à l’effigie de Paris, où elle a indiqué plusieurs fois adorer jouer, et pour le t-shirt bleu. Pour se quitter, sans rappel, après une heure vingt d’un set parfait, l’Irlandaise d’adoption a choisi The Orange, qui clôture in|FLUX, « tout simplement une des premières chansons un peu bien que j’ai écrites, elle traite de l’acceptation de soi, par ses amis, sa famille », explique-t-elle avant de recommander aux spectateurs un geste d’affection pour leur prochain, « si vous avez une relation platonique avec et le connaissez, c’est important », dit-elle en souriant.

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Un mot de conclusion à l’image du parcours de ce concert et de la discographie d’Anna B. Savage, qui, finalement, apprend à s’aimer toujours un peu plus, à se contenter d’être soi, et à aimer en retour. Magicienne de la pop folk, elle est finalement une digne héritière d’une dynastie où ont notamment œuvré Elliott Smith ou Grant Lee Philips, aux fragilités si intensément terriennes et palpables – les média britanniques n’hésitent pas à invoquer les mannes d’un autre grand Américain : Jeff Buckley. Foin de références, toutes discutables au demeurant, ce soir, Anna B. Savage fait ce qu’elle sait faire de mieux : du Anna B. Savage.

Une artiste précieuse qui, de sa voix grave ou plus frissonnante, qui a le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé. Il est toujours rassurant de voir les promesses des premiers albums survivre à l’incertitude de l’hiver, et, pour les meilleures, éclore de la tourbière en bruyère au printemps.

Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Robert Gil

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