On ne présente plus Eric Fottorino (le Monde, l’hebdo le 1…) qui met un peu de lui-même dans Fosco, ce jeune écrivain que l’on suit dans son parcours du milieu littéraire parisien des années 90. Faussement autobiographique à coup sûr, mais véritablement nostalgique dans cette relecture d’une période étrange bien que peu éloignée d’aujourd’hui.

C’est dans les locaux des éditions du Losange, dans les années 90, que se forme un trio improbable mais qui marque le roman dès ses premières pages : Foscorino, dit Fosco, jeune écrivain ambitieux qui dépose son épreuve littéraire chez l’éditeur, soutenu fortement par Clara, son agent littéraire qui gère également la carrière de Saïd, auteur algérien engagé mais poursuivi par des extrémistes pour ses écrits rebelles. Histoires d’amitiés fortes, artistiques, mais aussi une histoire d’amour mêlée, saisies au gré d’une atmosphère fervente et caractéristique : le milieu littéraire parisien à l’apogée d’un siècle finissant, mais qui ne connaît pas encore la crise du format papier et de l’essor des nouvelles technologies.
A la manière de Patrick Modiano, auquel on pense fortement au fil des pages, Eric Fottorino parsème son livre de touches naturalistes douces-amères, saisit des émotions, des petits moments de grâce, de fièvre, de désir ou de renoncement, ces petits moments que connaissent les relations fortes, engagées, intellectuelles… Clara s’emballe toujours trop, Saïd craint pour sa vie, pour sa famille tout en voulant brûler sa vie par tous les bouts, et enfin Foscorino, arrivant dans ce milieu, adulé dès la parution de son premier roman, embarqué avec force et curiosité dans un monde qu’il ne connaît pas et qui va le galvaniser. On suit avec tendresse et passion ce Jules et Jim littéraire, car une douce mélancolie émane dès le début du texte. L’auteur, qui probablement retrace des souvenirs de sa propre existence, pose un regard empreint de nostalgie et de poésie sur ses protagonistes, emportés dans ce tourbillon d’écrits, de politique, de rage et d’amour.
Au-delà des anecdotes de cette année particulière vécue par le narrateur accompagné de ses deux acolytes dans ce doux tumulte, Des gens sensibles aborde surtout le pouvoir de l’écriture : celle qui rassemble, celle qui emporte dans des colères ou des rebellions, celle qui ose et celle qui fait rêver. Un pouvoir fort pour des êtres fragiles. Mais aussi une écriture comme exutoire, une nécessité. Comme le dit si bien Fosco : « Le siècle finissait et dans cet entre-deux incertain me dévorait l’intuition que l’écriture pouvait approcher le mystère de la vie. Me donner une chance, la seule peut-être, de comprendre la mienne »
Jean-françois Lahorgue