[Live Report] Hugh Cornwell à Petit Bain : le retour d’un homme en noir

L’autre homme en noir, l’autre « étrangleur », Hugh Cornwell était de passage à Paris lundi soir, pour nous offrir un double set généreux, très attendu par tous les fans des Stranglers. De quoi vérifier que l’homme est toujours aussi talentueux, même s’il est désormais capable de… sourire !

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Hugh Cornwell à Petit Bain – Photo : Eric Debarnot

Vu l’âge du public au concert de Hugh Cornwell ce lundi à Petit Bain, il est sans doute utile de rappeler aux plus jeunes, qui n’y étaient pas, un certain nombre de faits qui font partie de l’Histoire (« H » majuscule) du Rock : The Stranglers ont été l’un des groupes les plus importants du mouvement punk britannique de 1976-1977… même s’ils n’ont jamais été punks. Trop vieux, trop mélodieux, trop… méchants aussi, et dangereux : c’est simple, tout le monde avait peur d’eux à la fin des années 70, et les vieux briscards des concerts de l’époque ont tous des histoires croustillantes ou dramatiques à raconter sur leurs apparitions sur les scènes françaises. Mais les Stranglers, autour du duo de compositeurs hyper doués qu’étaient Jean-Jacques Burnel et Hugh Cornwell, dealaient autant dans la beauté que dans la laideur, et nous ont offert plusieurs dizaines d’immenses chansons, qui n’ont pas vieilli d’un poil depuis leur création. Cornwell quitta le navire (le drakkar ?) quand la créativité marqua le pas, à la fin des années 90, pour s’engager dans une carrière solo, qui, contre toute attente, le vit plonger peu à peu dans l’anonymat. A l’inverse, après un passage à vide d’une quinzaine d’années, le reste des Stranglers retrouva de manière inattendue le chemin et du succès et du talent. Ce qui nous amène aujourd’hui à des Stranglers remplissant l’Olympia – avec l’aide, il est vrai, de contingents britanniques traversant la Manche pour l’occasion -, alors que Cornwell peine à remplir Petit Bain, pas totalement complet quand débute le premier set, à 20h35.

2025 04 14 Hugh Cornwell Petit Bain (4)Pas de première partie ce soir, puisque Cornwell, en format power trio, évidemment vêtu de noir car il y a des choses qui ne doivent pas changer, a décidé de nous régaler d’un « double set » : le premier est consacré à une sélection de titres de sa carrière solo, et le second à une bonne dizaine de classiques des « Etrangleurs », choisis parmi ceux sur lesquels, évidemment, il chantait. A peu près une heure pour chaque set, avec un entracte d’une quinzaine de minutes, Cornwell est d’humeur généreuse ! Mieux encore, pour ceux qui se souviennent de la brutalité haineuse et méprisante de son comportement il y a un demi-siècle de cela, le Cornwell d’aujourd’hui a tout du british gentleman décontracté et plein d’humour : un choc, et certains vieux fans ont même failli défaillir quand Hugh a laissé échapper une paire de sourires !

Pour ceux qui, comme nous, n’ont pas suivi la trajectoire solo de Cornwell, en dépit des critiques élogieuses recueillies par des albums comme Guilty ou le plus récent Monster, le premier set est celui de la découverte. De la découverte de chansons qui, indubitablement, tiennent très bien la route, explorent des genres musicaux variés, enrichissent leur complexité et leur ambition de « hooks » accrocheurs et de refrains mémorables. Prouvant que Cornwell a su rester pertinent et talentueux dans ses aventures musicales. La section rythmique qui l’accompagne est très efficace, puissante même, et lui permet de poser et sa voix toujours caractéristique et son jeu de guitare épuré et tranchant sur une base solide.

2025 04 14 Hugh Cornwell Petit Bain (28)La musique que joue Cornwell est d’une belle élégance, presque dépouillée tout en restant acérée : il est vrai que par moments, on a le sentiment qu’un second guitariste aurait pu renforcer le son parfois minimal sur scène, et que certains titres auraient bénéficié d’être ainsi enrichis. Il reste que ce premier set n’a guère de moments de faiblesse, et culmine même avec les deux extraits de Monster : Pure Evel, réjouissante et excitante célébration du cascadeur fou Evel Knievel, et surtout Mr. Leather, pastiche velvetien et célébration du génie de Lou Reed, sur lequel Cornwell s’épanchera largement, lui dédiant sa plus longue tirade de la soirée. Le public – largement grisonnant et masculin – est chaleureux, mais sans enthousiasme débordant : on sent que tout le monde attend de passer aux « choses sérieuses ».

Et les choses sérieuses, c’est évidemment, dans l’esprit de tous, le second set, qui va fouetter notre fibre nostalgique, avec onze chansons fantastiques (et pour une fois, tous les superlatifs peuvent être sortis !) : du très fin Skin Deep en introduction au terrible (Get a) Grip (on Yourself) en conclusion, que de la composition de haut niveau ! Avec des versions brutales de Nice ‘n’ Sleazy – sommet du set, où le bassiste nous fait une imitation très convaincante de Burnel -, Tank, Dead Loss Angeles, et Nuclear Device, qui nous remplissent le cœur de bonheur. Le problème est plutôt d’avoir inclus dans la setlist des titres où originellement, l’orgue de Greenfield est prépondérant et essentiel, comme Strange Little Girl, Golden Brown ou Always The Sun, dont il ne reste ce soir que des squelettes que le jeu minimal de Cornwell à la guitare peine à remplir : il y a même parfois de quoi grincer des dents devant le résultat. On se dit que, si Cornwell voulait vraiment reprendre ces chansons-là, il aurait dû les réécrire, les reconstruire pour qu’elles soient interprétables dans le format limité qui est le sien aujourd’hui : à la fois trop fidèles aux versions originales et vidées de leur chair, ces chansons ne créent qu’un sentiment de frustration.

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L’honnêteté nous oblige à reconnaître que cette opinion n’est pas unanimement partagée parmi notre petit groupe, certains affirmant même à la fin du concert que, ce soir, « ils ont vu Dieu » ! Quant à nous, nous leur rétorquerons que l’un des moments les plus frappants de ce second set a été la reprise du White Room de Cream, que Cornwell et ses hommes travaillent dans le cadre d’une nouvelle version de son Nosferatu (concept album en collaboration avec Robert Williams réalisé en… 1979 !). Là, sur ce titre conçu pour être interprété en trio, la magie de Hugh Cornwell pouvait se déployer totalement.

En tous cas, s’il y a une chose à retenir de ces deux heures, c’est que nous avons eu tort de ne pas suivre sérieusement le travail de Hugh Cornwell. Une erreur que nous réparerons à l’avenir.

Texte et photos : Eric Debarnot

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