Sans pathos, sans intellectualisme sentencieux, Héloïse Guay de Bellissen nous raconte la vie d’Elvis Presley, le King, et nous explique comment celui-ci a réussi à échapper à la superficialité de l’existence grâce à la lecture d’un bref livre de poésie. Comment donner du sens à sa vie ! Une histoire fascinante.

Le saviez-vous ? Elvis (Presley, évidemment, il n’y en qu’un !) n’a écrit aucune des 600 chansons qu’il a chantées et, en prime, il écrivait très mal, faisait beaucoup de fautes d’orthographes ; il avait aussi un frère jumeau, mort-né quelques dizaines de minutes avant lui et qui s’appelait Jesse Garon) ; plus surprenant et encore plus intéressant, Elvis a lu, relu et re-relu, en l’annotant, Le Prophète de Khalil Gibran. Plus précisément, il annotait des versions différentes (il en possédait des dizaines d’exemplaires) et les offrait à ses amis ou amies. Il semblerait même qu’il ne les offrait pas pour les notes qu’il avait ajoutées au célébrissime texte de l’écrivain libanais, mais parce qu’il s’était pris d’une véritable passion pour ce livre. Véridique (ce qui doit être le cas), cette anecdote est fascinante ; inventée, elle l’est encore plus, parce qu’elle devient une incroyable idée de roman. Quoi qu’il en soit, c’est le sujet du livre d’Héloïse Guay de Bellissen. Le King, c’est donc Elvis ; le Prophète, c’est le livre de Khalil Gibran. Le sujet : comment ces deux stars mondiales, universelles, comment ces deux entités supranaturelles (qui ont donné du sens à la vie de dizaines de milliers de personnes) se sont rencontrées, comment Elvis a fusionné avec ce bref traité de philosophie mystique. Et le narrateur, c’est Jesse Garon, le jumeau qu’Elvis n’a jamais connu.
L’histoire commence par un coup de chance, un de ces hasards qui ne devraient jamais se produire : Elvis a 13 ans, il se fait tabasser et reçoit pour se faire consoler Le Prophète ; Elvis, qui n’a déjà pas un sens de la littérature très développé, décide de vendre le livre à un bouquiniste ; malheureusement (heureusement, en réalité), le libraire refuse en montrant la pile de prophètes d’occasion qu’il n’arrive pas à vendre et conseille à Elvis de lire le livre. Elvis aurait dû faire construire un moment à cet homme parce que ce livre va devenir un compagnon. Pas immédiatement, non. Il va se passer une bonne dizaine d’années avant de finir par ouvrir le livre et de voir la lumière. Les aphorismes poétiques de Khalil Gibran lui parlent d’une manière incroyable. Il commence donc à prendre des notes en marge, et n’arrêtera plus.
Héloïse Guay de Bellissen écrit en réalité une petite biographie d’Elvis Presley, en reliant chacun des moments clés de son existence à une phrase de Khalil Gibran ou une des notes d’Elvis lui-même (fautes d’orthographes comprises). Elvis apparaît un peu perdu dans un monde qui le dépasse très largement, entre tournées, enregistrements et films. Il se raccroche à sa mère (qui occupe une place énorme, mais meurt en 1958, quand Elvis à 23 ans) et à Khalil Gibran. La relation à sa mère est émouvante comme celle qui finit par l’unir au petit livre du poète libanais. C’est émouvant d’imaginer cet homme dont la vie fût brève (rappelons qu’Elvis est mort à 42 ans) et qui semble être superficielle essayer de s’enraciner dans ces pages ! Tellement convaincu de la justesse de ce qu’il lisait qu’il voulait le faire partager ; la scène dans laquelle il donne un exemplaire au fameux Colonel Parker est particulièrement savoureuse ! Comme celle où il offre une Cadillac rose à sa mère (mais c’est une autre histoire).
Alain Marciano