Mattotti
& Kramski - Dr Jekyll et Mr Hyde
Casterman
- 2002
Comme
pour le Frankenstein
de Denis
Deprez (voir chronique de ce mois), on se demande de
prime abord ce qui peut justifier la parution d'une ènième
adaptation d'un classique de la littérature populaire
tel que ce Jekyll
et Hyde de Steveson.
Tout
comme pour Frankenstein,
on répondra : la modernité intacte de l'œuvre et la
pertinence de la réappropriation de celle-ci via une démarche
artistique contemporaine.
Avec cet album, Mattotti
trouve un terrain qui correspond parfaitement à son
univers. Une fois de plus, on s'émerveille devant sa
maestria graphique. Influences futuristes et
expressionnistes sont triturées dans un déluge de
couleurs directes, de personnages aux sentiments à
fleur de peau dans des décors à la géométrie
dynamique.
Ce
Jekyll, homme falot aigri par une vie sans aspérités, Mattoti
le cerne avec acuité. Mais ce n'est rien à côté
de la représentation de l'énergie du chaos qui agit
Hyde, et sa liberté que Jekyll envie tant.
Les
barrières imposées par la société éclatent, le
vernis craque et le monstre apparaît, libre et cruel, déchaînant
ses passions sans entraves ni limites.
Les auteurs ont la grande intelligence de transposer le
récit dans l'ambiance délétère de la fin des années
20, ce qui leur permet d'élaborer plusieurs séquences
mondaines (avec un certain Rudolf Hess alors en place à
l'ambassade d'Allemagne à Londres) tout droit tirées
d'un tableau grinçant d'Otto
Dix.
Cette
fable philosophie sur l'âme humaine sans cesse tiraillée
entre le bien et le mal et obligée de composer pour
trouver un fragile équilibre plein de concessions
castratrices, trouve dans cette transposition un écho
particulièrement judicieux.
Mais ce Jekyll et
Hyde est aussi une œuvre sur la dépendance. Dans
un premier temps, Jekyll, poussé par ses recherches, découvre
les potentialités de Hyde et parvient à les contenir
grâce à un combat moral (et aussi surtout grâce à
l'obligation de se conformer aux conventions dictées
par une société particulièrement stricte). Mais Hyde
vaincu, la sensation de perte est intolérable, la
condamnation à ne rester que Jekyll insupportable. La
tension s'accumule, les débauches criminelles et
sexuelles de Hyde affleurent sous les bonnes manières.
Jusqu'à la rechute (avec la femme de Rudolf Hess complètement
dépravée !!!) inévitable autant que consciemment décidée.
Seule
la mort volontaire pourra délivrer Jekyll de l'abîme
dans lequel il s'est enfoncé et qui l'a englouti corps
et âme.
Fred
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