Baudoin
- Le chemin de Saint-Jean
L'association
- 2004
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Il est dans le
monde des chemins plus beaux, mais c'est de celui-ci que
je veux parler.
Au tout début 2002, Edmond
Baudoin signait à L'Association la première
mouture du Chemin de Saint-Jean, décrite sous l'appellation travail
en élaboration permanente. Il était prévu alors
que chaque nouvelle édition de l'album se verrait
enrichie de nouvelles planches faisant évoluer le livre
dans son entier. Aujourd'hui réduites au format d'un
album classique (conserver le format géant aurait entraîné
des coûts de fabrication trop élevés), ces planches
reparaissent dans un volume à la pagination presque
doublée. Cette modification de format n'est d'ailleurs
pas la seule modification apportée au projet initial
puisque, abandonnant l'idée du work in progress, cette
deuxième version est présentée comme la version définitive
de l'album.
Les albums de Baudoin
à L'Association ne sont pas les plus faciles à appréhender
au sein de sa riche et longue carrière. Présentés
sous forme d'associations libres, ces albums nous
montrent un Baudoin
qui se met à nu. Paradoxalement, c'est d'ailleurs peut-être
dans cet album où il ne dessine que des paysages, de sa
région natale (Villars-sur-Var dans l'arrière-pays niçois)
et du Canada où il enseigne, que cette intimité se
fait la plus prégnante. Baudoin y applique en effet magnifiquement le précepte du grand cinéaste
Ernst Lubitsch qui disait qu'il faut filmer les
visages comme des paysages et les paysages comme des
visages.
C'est ainsi que dans Eloge
de la poussière, peut-être son plus bel album à
ce jour, Baudoin
évoquait longuement le souvenir de sa mère, dont il
traitait le visage tel un paysage. Ici, et toujours
conformément à la citation de Lubitsch, c'est le
paysage qui se voit traité comme un visage aimé. Baudoin,
avec sa manière bien à lui de poétiser le réel, écrit
dans le livre "Les strates sont bien visibles sur
les parois de mes montagnes. J'ai cru longtemps que c'était
des rides."
Au-delà de la mise à nu et de cette exploration intime
qui prend forme à travers un ancrage précis dans un
lieu bien déterminé, c'est l'universalité du propos
qui pose cet album comme un jalon essentiel dans l'œuvre
récente de son auteur, bien plus qu'un assez peu réussi
Les yeux dans le mur paru en 2003 chez Dupuis. Dans
Le chemin de Saint-Jean, Baudoin tente une
nouvelle fois de réaliser l'impossible tâche de rendre
palpable la complexité de la vie à travers une série
de croquis pris sur le vif. Loin de se minéraliser ou
de s'assécher, son dessin et sa pensée se font
toujours plus libres, faisant fi des contraintes et
traquant l'indicible beauté dans quelques pierres,
quelques arbres, un chemin. Avec la simplicité et
l'humilité qui sont l'apanage des plus grands.
Fred
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