Paul
Chadwick - Concrete t .1 (étrange
armure)
Semic
- 136 p, 11,90€ - 2004
|
|
|
|
Concrete
: Etrange
Armure,
est une mini-série parue douze ans après la première
apparition de Concrete (en 1986, chez l'éditeur Dark
Horse), bien qu'elle relate les origines de cet homme de
pierre. C'est principalement pour cette raison que Semic
a commencé la publication française de la série par
cet épisode, qui présente l'avantage de ne pas nécessiter
de connaissance de l'univers de Concrete
tout en bénéficiant d'un traitement graphique plus
mûr.
Etrange Armure
raconte l'histoire de Ron Lithgow, petit homme maladroit
et introverti qui rêve d'aventures et de grands
espaces, mais n'ose pas franchir le pas. Pourtant un
jour, Ron finit par se laisser tenter, et part en
excursion avec son ami Michael.
Malheureusement, la montagne qu'ils comptent escalader
se révèle être la résidence d'alien,
qui transplantent leur cerveau dans une enveloppe
corporelle de pierre. Seul Ron parvient à s'échapper,
mais ce faisant, il provoque le départ précipité et
probablement définitif de ses ravisseurs, ce qui le
condamne à vivre pour le restant de ses jours à l'intérieur
de cette étrange armure...
Le grand intérêt de Concrete
réside dans le choix de Paul
Chadwick de ne pas s'appesantir sur la partie
science-fiction de son histoire (expédiée en une
trentaine de pages), pour se concentrer sur le développement
des relations entre ses personnages, et sur les problèmes
que va rencontrer Concrete à s'adapter à un monde qui n'est manifestement pas fait
pour lui. Il ne cache rien des difficultés que
rencontre Ron à maîtriser son nouveau corps, le décrit
faisant ses courses à la supérette du coin, etc. A
travers ces nombreuses petites anecdotes très
"terre à terre" (comment tenir un crayon de 5
millimètres d'épaisseur quand votre nouvelle main fait
le triple du volume que celle d'avant, par exemple), Chadwick fait apparaître son héros comme quelqu'un de profondément
humain, presque banal, tout en soulignant sa profonde
différence et son isolement, et ce avec une grande
sobriété.
De la même manière, Etrange
Armure s'intéresse aux interrogations de Ron sur sa
nature et sa place dans la société, ainsi qu'aux
relations complexes qu'il entretient avec Maureen, la
scientifique qui le suivra partout dans ses aventures,
et l'homme qui fut son geôlier et qui deviendra son
agent: Stamberg. Sans débauche de grands sentiments, et
avec une économie et une justesse graphique étonnantes
(notamment un énorme travail sur les regards, très
expressifs), Chadwick
lie inextricablement ces trois personnages par l'intérêt,
le respect, le désir de Concrete pour Maureen.... A
travers l'évolution de ces relations et ses propres tâtonnements,
Ron apprendra à se trouver de nouvelles aspirations, à
continuer tout simplement à vivre.
Derrière ces préoccupations se dessine également une
réflexion sur la surmédiatisation. Concrete, manipulé
avec son consentement par un Stamberg avide d'argent,
devient un véritable produit destiné à vendre
n'importe quoi. Cette surutilisation de son image
accentue sa solitude et le fait devenir littéralement
cette image d'Epinal ou ce logo décliné jusqu'à en
vomir. En prenant place dans tous les foyers, il devient
plus banal, mais paradoxalement aussi moins réel, car réduit
au rang d'objet ou de monstre de foire.
Etrange Armure
fonctionne grâce à sa sobriété. Chadwick
rend ses personnages touchants et vrais sans débordements
de pathos inutiles et malvenus. Cet épisode de Concrete
n'est pas exempt de défauts (la scène où Concrete
observe un homme qui s'avère être handicapé tombe
comme un cheveu sur la soupe et surligne inutilement le
parallèle entre ces deux personnages), mais son
ambiance apaisée, son originalité et la grande
sensibilité avec laquelle l'auteur traite son récit en
font une bande dessinée possédant un charme à part.
Olivier
Tropin
Plus+
L'éditeur
|