Igort
et Sampayo - Fats Waller
Casterman/coll.
un monde - 2004
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Cinq morceaux du génial pianiste de jazz Fats Waller,
cinq intrigues éclatées dans une Europe qui bascule
dans l'horreur nazie structurent un récit d'une
richesse thématique absolument extraordinaire. 5
est le numéro parfait nous disait déjà l'italien Igort
dans son précédent album. Il a certainement dû le
répéter à Carlos Sampayo tant la réussite de Fats
Waller apparaît magistrale.
Avec une minutie et une élégance folles, Igort
compose un New-York 30's éclatant de présence, parfait
écrin dans lequel Sampayo tisse le portrait d'un
Fats Waller tiraillé entre sa volonté artiste et les
exigences matérielles et surtout sociales. Dés la
première scène, qui voit Fats Waller enregistrer un
morceau en solitaire, on sait qu'on tient là une grande
bande dessinée. Les auteurs y montrent un Waller
concentré, absorbé par sa musique, suant pour son art,
une vision qui tord le cou et prend à contre-pied
l'image d'amuseur public qui lui colle toujours aux
basques 70 ans plus tard. Le ton est donné : il sera
grave.
Car
Waller est seul.
Seul
face aux autres vis-à-vis desquels il se voit contraint
de renvoyer une image qui ne lui ressemble pas, celle du
bon gros nègre jovial répondant aux clichés véhiculés
par les affiches à son effigie. Mais aussi seul face à
lui-même, face à l'impossibilité d'être lui-même
dans sa musique. "Je
ne peux pas jouer comme moi-même" lui feront
dire les auteurs, optant pour le portrait psychologique
d'un artiste sensible dont la réussite apparente se
heurte à une réalité sociale qui n'ouvre le chemin
que d'un gouffre aux chimères.
En contrepoint de ce portrait, c'est vers un autre
gouffre que nous guide la deuxième ligne de force du récit
: celui de l'Europe en flammes et de la montée des
barbaries fascistes et nazies. C'est ainsi qu'Igort
et Sampayo introduisent dans ce premier volume
nombre de personnages qui seront, on n'en doute pas un
seul instant, amenés à interagir dans une phase ultérieure
du récit. Un
aristocrate anglais qui semble frayer avec les nazis,
des appels à la résistance républicaine contre
l'avancée franquiste, des manifestations antisémites
à Vienne constituent quelques éléments d'une
construction kaléidoscopique où les morceaux omniprésents
de Fats Waller maintiennent homogénéité et cohésion
à un récit particulièrement éclaté.
Il y a longtemps qu'on n'avait plus été autant
convaincu par le premier volume d'une nouvelle série. Même
s'il est bien difficile de percevoir comment les auteurs
vont tenir leurs différents fils narratifs, on peut
sans trop s'avancer prévoir que ça va faire mal.
Dès
la première scène, un producteur dit de Waller "Celui-là,
quand il joue tout seul, il se prend pour Chopin"
. Le Chopin de la Marche funèbre sans doute. Waller
meurt en 1943, à cette date, la solution finale est en
route en Europe.
Fred
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