L’éditeur Vertige graphic nous fait le bonheur
de nous offrir une nouvelle édition de Gen d’Hiroshima,
auparavant déjà publié chez aux Humanoïdes associés
ou chez Albin Michel, mais pour le premier tome
uniquement. Ce manga en 10 tomes (dont 2 parus pour le
moment) des années 70 constitue une œuvre quasi
autobiographique sur le drame d’Hiroshima et ses conséquences
sur les populations locales, en particulier sur Gen et
sa famille. Dans le premier tome, l’auteur nous décrit
l’atmosphère et les conditions de vie des japonais
pendant la seconde guerre mondiale, en particulier les
affronts vécus par la famille de Gen, qui se veut
pacifiste, et termine son récit, dans les dernières
pages, par l’explosion de la bombe d’Hiroshima. Le
second volume enchaîne directement sur les conséquences
à court terme de l’événement.
Le dessin de l’auteur apparaît, a priori, clairement
comme le point faible de l’œuvre. Présentant à la
fois un caractère vieillot et simpliste, il tend également
vers la caricature, et offre en tous les cas un aspect véritablement
naïf. Si cela peut gêner, voire rebuter, au premier
abord, cela n’en constitue toutefois nullement un
obstacle véritable. D’abord parce que l’auteur maîtrise
malgré tout parfaitement son style graphique, pour une
œuvre qui était sans doute conçue à l’origine
comme un témoignage envers les générations futures, y
compris les enfants. Ensuite parce que l’on se rend
compte finalement que l’aspect enfantin du dessin
contrebalance efficacement l’horreur du témoignage de
l’auteur.
Témoignage d’une tragédie, Gen d’Hiroshima offre
des moments de lecture particulièrement intenses et éprouvants,
que ce soit dans les conditions de vie des japonais sous
la guerre et après l’explosion de la bombe, avec
notamment le militarisme quasi unanime de la population,
le racisme jusque dans la mort envers les Coréens. On
trouve, aussi et surtout, dans ce manga la présentation
des conséquences concrètes de la bombe, que ce soit à
travers les énormes destructions matérielles, et plus
encore à travers les milliers de morts, les défilés
incessants de cadavres ou de personnes brûlées,
l’errance des gamins orphelins, sans compter les conséquences
des radiations dont les effets mortels sont totalement
inconnus de la population. L’auteur veut nous montrer,
dans tous ses détails, dans toute l’ampleur du désastre,
la tragédie d’une guerre et d’une bombe nucléaire,
sur une population meurtrie, qui sombre
psychologiquement et humainement, et sur un pays qui se
trouve au bord de l’anarchie, totalement désorganisé.
Réquisitoire implacable envers les hautes autorités
gouvernantes et militaires, qui ont mené un pays à sa
perte, l’œuvre se veut également être une charge
contre ses concitoyens, que la guerre tend encore plus
à séparer, provoquant des rancœurs démesurées. De
par sa nature même, en tant que témoignage réel, l’œuvre
provoque chez le lecteur un choc d’une ampleur
rarement égalée en bande dessinée. Gen d’Hiroshima
est clairement l’une des œuvres les plus fortes, les
plus dérangeantes qu’il me soit arrivé de lire. Une
lecture dont on ne sort assurément pas indemne, et dont
on peut espérer que les volumes suivants suivront la même
voie.
Vincent
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