Entretien
avec Jason
A
l'occasion de la sortie de son album Le
char de fer, le
quatrième aux éditions Atrabile, le très attachant
auteur norvégien Jason
était de passage à Bruxelles il y a quelques semaines
pour une séance de dédicaces à la librairie Bulle
d'or.
L'occasion de recevoir un beau dessin mais aussi de lui
laisser une série de questions auxquelles il a eu la
grande gentillesse de répondre.
Pouvez-vous vous présenter
rapidement ?
Mon vrai nom est John Arne Saeteroy. Je suis né à
Molde en Norvège il y a 38 ans. Après mes études
secondaires et une année à l'armée, je suis entré
dans une école d'arts à Oslo. Ces 5 dernières années,
la bande dessinée et l'illustration ont été mes
principales occupations.
Qu'est-ce qui vous a
amené à la bande dessinée?
J'ai réalisé ma première historie en bande dessinée à
12 ans, après avoir lu un album de Tintin.
A 15 ans, j'ai vendu mes premiers strips à un magazine
humoristique norvégien et j'ai utilisé tout l'argent
de la vente pour acheter des bandes dessinées. J'ai
donc bien l'impression que je suis voué à la bande
dessinée… Et maintenant, il est trop tard pour faire
marche arrière.
Que représente la
bande dessinée en Norvège? A quel point est-elle
reconnue et quelles difficultés cela pose-t-il pour en
produire?
La Norvège est une zone linguistique très petite,
seulement 4 millions de personnes, il est donc difficile
de vendre des albums de style franco-belge. Beaucoup
d'auteurs font des strips pour les journaux. Depuis 7 ou
8 ans, l'état soutient la production de bandes dessinées,
ce qui rend possible de faire des histoires plus
alternatives, moins commerciales, qui sont publiées au
format comics américain ou dans des collections à
couvertures rigides.
Les comics américains sont populaires en Norvège,
l'hebdomadaire Donald
Duck est un des magazines les plus vendus. Mais les
comics pour adultes se vendent moins.
Il est difficile de vivre de la bande dessinée en Norvège.
Je pense que moins de dix auteurs le font à temps
plein. La plupart des auteurs doivent faire de
l'illustration ou autre chose.
Vous êtes édité
aux Etats-Unis chez le prestigieux éditeur indépendant
Fantagraphics et en français chez les suisses
d'Atrabile, considérez-vous faire partie d'un mouvement
international qui aborde la bande dessinée avec le même
type de préoccupations?
Oui, je pense. Je me sens plus proche de Jim
Woodring aux EU ou de Fabio
en France que d'autres auteurs en Norvège. Je pense que
les différences entre la bande dessinée américaine et
européenne se sont atténuées ces dix dernières années,
au moins dans le milieu de la bd alternative, comme
celle publiée par Fantagraphics ou L'association.
Cette
internationalisation de la bd indé est-elle une source
de motivation, d'enrichissement dans la manière dont
vous abordez votre travail?
Non, ça ne change pas la façon dont je travaille. Je n'ai
jamais utilisé beaucoup de références spécifiquement
norvégiennes, donc ça n'a jamais été un problème.
Il y a eu une période pendant laquelle j'ai réalisé
beaucoup de bandes dessinées muettes, pour éviter les
problèmes de langue et rendre la lecture possible
n'importe où.
Quelles sont vos
principales influences et admirations?
Tintin
reste pour moi la plus grande source d'inspiration, pour
la narration très claire d'Hergé, que je trouve d'autant plus importante pour faire passer les
éléments surréalistes dans mon travail. Fabio,
Lewis Trondheim
et Chester Brown
m'ont aussi influencé. Au cinéma, j'aime des réalisateurs
comme Jim Jarmush,
Hal Hartley, Aki
Kaurismaki et aussi les films de Buster
Keaton.
Vos albums se caractérisent
par une mise en page très classique, des récits plutôt
minimalistes, par contre vous expérimentez beaucoup sur
la narration, la structure du récit. Pouvez-vous détailler
un peu votre processus créatif? Comment élaborez-vous
vos albums?
J'écris très rarement un script et je ne fais que très
rarement des dessins préparatoires. Dans la plupart des
cas, je dessine directement sur la planche originale et
je construis l'histoire au fur et à mesure. C'est un
processus dans lequel on découvre l'histoire en la
faisant, en espérant que tout se tienne à la fin.
Attends…
est un album particulièrement émouvant. Il traite
notamment de l'enfance, de l'amitié, de l'expérience
de la mort. Cet album représente-t-il quelque chose de
spécial pour vous? Est-il nourri d'éléments
autobiographiques?
J'ai été influencé par l'album I've never liked you (1) de Chester
Brown, qui m'a incité à raconter une histoire basée
sur ma propre enfance. Beaucoup de choses dans la première
partie de Attends… sont autobiographiques, excepté la mort de l'ami du
personnage principal qui relève de la fiction. Je
voulais que quelque chose survienne, quelque chose qui
projette directement le personnage principal vers l'état
d'adulte, et que cette vie d'adulte entre en contraste
avec son enfance heureuse et sans soucis.
Votre dernier album
est l'adaptation d'un roman du début du 20ème
siècle de l'auteur norvégien Stein Riverton. Il s'agit
d'un récit criminel de détection assez classique. Qui
était ce Riverton? Quels rapports entretenez-vous avec
l'œuvre et son auteur?
Riverton
est un écrivain et journaliste norvégien né en 1884.
Il a écrit beaucoup de romans de détection, dont Le
char de fer, considéré comme le meilleur.
Quand j'étais enfant, j'ai écouté une pièce
radiophonique de l'œuvre. J'ai ensuite lu le roman, qui
m'a fait forte impression.. Je voyais dans ma tête des
éléments de l'histoire sous forme de planches de bande
dessinée. Déjà alors, je voulais adapter le roman, ce
n'était qu'une question d'attendre le moment propice
pour le faire.
Pourquoi adapter un récit
classique après plusieurs albums narrativement assez
expérimentaux?
Il y a quelques années, j'ai fait beaucoup de bandes
dessinées muettes et j'avais envie de revenir à une
forme dialoguée, mais je n'avais pas d'histoire de mon
crû, c'est alors que j'ai décidé d'adapter le roman.
Le problème principal de l'adaptation du roman en bande
dessinée est qu'on est forcé de couper beaucoup de
choses, sinon on fait une bd de 600 pages, tout en
devant capturer en même temps l'essence du livre. La
bande dessinée est un medium visuel, donc il faut
penser à ce qui fonctionne visuellement. De nombreuses
pages avec seulement des têtes qui parlent, ça peut
facilement devenir ennuyeux…
Ce classicisme en
rupture conserve un important point commun avec les
autres albums : la création d'ambiances étrangement
inquiétantes. Pensez-vous qu'il puisse s'agir là d'une
bonne définition de votre travail?
Peut-être en partie. Mais j'essaie de ne pas trop penser
à ce genre de choses. Ceci dit, Attends…
et Le char de fer
sont toutes deux des bandes dessinées à propos
d'hommes hantés par le passé.
Pour la première
fois, dans Le char
de fer, vous utilisez la couleur, sous la forme
d'aplats rouges ajoutés au noir et blanc. Comment cela
s'est-il inscrit dans la création de l'album?
A l'origine, Le char
de fer a été publié en deux parties, sans
couleur. Mais je pensais que beaucoup de scènes, spécialement
celles de nuit, étaient trop claires. J'ai décidé
d'ajouter la couleur dans l'édition en album pour
donner à l'histoire une atmosphère plus sombre et pour
séparer les séquences prenant place dans le présent
des flashbacks.
Comptez-vous réitérer
l'expérience?
Dans mon prochain album, Can't get there from here, j'ai également ajouté une couleur. Je
pense qu'une seule couleur, si elle est utilisée
correctement, peut être aussi efficace que toutes les
couleurs.
Pouvez-vous déjà
nous dire quelques mots à propos de futurs projets?
Je suis en train de travailler sur un projet un peu plus
commercial, une sorte d'histoire à la Hitchcock. C'est
une histoire à propos d'un homme qui est le témoin
d'un meurtre mais que la police soupçonne, ce qui fait
qu'il doit attraper le meurtrier lui-même. Enfin, c'est
juste le cadre de l'histoire… Ca traite beaucoup de
souvenirs, de ce que l'on veut se rappeler et de ce
qu'on ne peut oublier.
Okay, that's it.
Hope you can use it.
Propos
recueillis par Fred - Octobre 2003
(1) Traduit en français sous le titre Je ne t'ai jamais aimé aux éditions
Les 400 coups
|