BD

Omond & Yoann - La voleuse du Père-Fauteuil  t.1   

Dargaud - 2003

 

 
 

    Avec cette série, Omond et Yoann s'inscrivent dans le pastiche du roman-feuilleton fin XIXème en jouant à fond la carte d'un récit rocambolesque accompagné d'une sentimentalité en apparence un peu surannée. En apparence seulement, car ce qui fait réellement l'intérêt de l'album, ce sont les décalages qu'apportent les auteurs aux codes bien établis du genre. Décalages qui donnent au récit une profondeur qu'il n'aurait certainement pas possédée s'il en était resté à la parodie au second degré, brillante mais somme toute assez vaine.

 

    Formellement, les partis pris déroutent au premier abord. Invariablement trois cases horizontales par planche et une voix off très présente voire envahissante. Mais, passé une courte adaptation au rythme établi par ces contraintes, le magistral dessin de Yoann ainsi que la beauté et la finesse de la langue jubilatoire d'Omond emportent le morceau et nous entraînent avec eux dans une sarabande endiablée peuplée de personnages hauts en couleur.

 

    Deux grandes lignes traversent l'album :

 

    D'une part, une société dans laquelle passéistes et modernistes s'affrontent par presse interposée. Opposition révélatrice d'une société fracturée mais aussi et surtout de la vanité des discours et de ceux qui les portent. Pédants, profiteurs, manipulateurs, beaux parleurs, chacun porte une vision du monde qui s'effrite dès qu'on quitte le domaine des beaux discours, dès que la réalité se dévoile derrière les apparences.

 

    D'autre part, trois personnages très forts, remarquablement campés et qui concentrent en eux, de manière paradoxale, le désir d'échapper au monde des apparences :

- la narratrice, Ariane, jeune femme bourgeoise en quête d'identité et de sensations fortes, mais qui peine parfois, dans un élan romantique, à dissocier le réel de sa vie fantasmatique. Elle embrasse la cause moderniste.

- Andrée Valentine, journaliste passéiste qui se présente aux yeux du monde sous l'apparence d'un homme mais qui se révèle être une lesbienne sentimentale mais lucide.

- l'homme-mystère, possédé par la rage et la folie sous l'emprise de la drogue qu'on lui administre, mi-homme mi-animal.

 

    Les deux lignes s'entremêlent et c'est la tension sexuelle qui meut cet hétéroclite trio amoureux qui précipite les évènements et oriente le cours du récit.

 

    Au-delà de l'aspect rocambolesque, on perçoit une réelle tendresse des auteurs pour leurs trois personnages principaux, qui leur donne une grande épaisseur  et porte avec brio un récit mené avec une intelligence sans failles.

 

    In fine, ce sont les traits du récit d'initiation que prend La voleuse du Père-Fauteuil. Quand se dévoile ce qui se cache derrière les apparences, les postures, les fantasmes et les tentures de velours, c'est la douloureuse noirceur du monde que l'on trouve, c'est l'enfance que l'on quitte.

 

    Le volume se clôt sur une superbe scène dans laquelle Ariane, calme, tendre et subtilement mélancolique s'abandonne provisoirement à un oubli lucide et désormais dénué de toute innocence.

 

Fred