Barbier
- Lycaons
Fremok
- 2003
|
|
|
|
Alex Barbier est
un auteur rare. Six albums en 25 ans, c'est peu. Une
carrière, même si on doute que ce terme puisse être
associé à son parcours, faite de giclées subites,
suivies de longues absences et de rendez-vous manqués.
Trop en avance, trop ailleurs, trop tout.
En 1988, il sort chez Fréon (pas encore devenu Fremok)
le premier volume de sa trilogie majeure Lettres
au maire de V., celle qui synthétise toute son œuvre
et la porte au plus haut. Fréon paie ainsi son tribut
à un auteur qu'on imagine bien en père spirituel de
cette bande d'artistes bruxellois qui abordent la bande
dessinée comme un moyen de recherches et d'expérimentations
graphiques.
En rééditant Lycaons,
premier album de Barbier,
Fremok poursuit aujourd'hui l'exploration des eaux
troubles dans lesquelles baignent ses expérimentations.
Sorti une première fois en 1979, Lycaons
rassemblait une série de récits publiés de 1976 à
1978 dans Charlie-Hebdo. Cette nouvelle édition est
augmentée de trois récits antérieurs, jusqu'à présent
inédits en album.
Alex Barbier
est un auteur rare et obsessionnel. Dans
Lycaons, tout son univers est déjà là. Sous la
forme d'un cut-up burroughsien, il y met déjà en place
ce qu'il appelle lui-même la ligne
brouillée (par opposition à la célèbre ligne
claire). Le dérèglement des sens et la déliquescence
créent des ambiances où le sens échappe, où les
images se brouillent, où la contamination rend le réel
indécidable. Alors, la monstruosité, le meurtre
peuvent se libérer dans une relation morbide à la
sauvagerie qui fait de nous des lycanthropes, mi-humains
mi-animaux ou plutôt ni l'un ni l'autre, on ne sait
quoi. Transgression des corps considérés comme des
objets, sexualité qui associe fluides vitaux, foutre et
sang, pour quand même se sentir en vie. Dans un paysage
de la mort qui traverse décors et visages et qui ne
laisse d'autre possibilité que de tortiller du cul
avant de mourir. Je baise donc je suis. Eloge de la
viande.
Lycaons
est à sa sortie en 1979 un véritable ovni.
Aujourd'hui, sa puissance s'est sans doute un peu atténuée.
En effet, son caractère radicalement novateur s'inscrit
à présent dans un paysage bd décomplexé et riche en
aventures expérimentales. Et puis surtout, Barbier
lui-même a sorti depuis des albums plus aboutis, moins
fous peut-être (encore que) mais portant ses obsessions
avec une rigueur plus directement intelligible. Lycaons reste cependant un album très fort, qui séduira
certainement ceux qui ont découvert récemment son
auteur. Mais pour les néophytes, il sera sans doute préférable
de débuter par les fondamentales Lettres au maire de V. Il sera bien temps de se laisser séduire par
la poésie fracassé de Lycaons
un peu plus tard.
Fred
|