Michel Rabagliati - Paul En Appartement
La
pastèque - 120p, 16€ - 2004
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Avant Paul En Appartement je n’avais jamais lu
de bande dessinée de Michel Rabagliati (je me
suis rattrapé depuis). Mais mon œil avait déjà été
alerté par le survol rapide des deux premiers volumes
paru à La Pastèque, très séduisant petit éditeur
québécois.
Le dessin, délicieusement rétro, rappelant un peu les
vieilles publicités des années 50, me chuchotait à
l’oreille des promesses de bonheur à venir.
Cette fois-ci la rencontre a eu lieu, le beau orange de
la couverture rendant tout autre album de bande dessinée
alentour invisible, a eu raison de ma curiosité.
Rabagliati nous entraîne dans
ce tome à la suite de Paul et Lucie et de leurs
premiers pas dans la vie adulte et, comme l’indique
clairement le titre, au moment de leur aménagement dans
leur premier appartement. Le chamboulement de leur
quotidien (une semaine plus tôt ils vivaient chacun
chez leurs parents) ramène Paul aux jours de sa première
rencontre avec Lucie et de leur amour naissant.
Rabagliati, à l’aide d’allers-retours malins
entre les deux époques (la réalité de la vie
professionnelle de Paul en opposition avec ce qu’il
apprenait à l’école par exemple, effet miroir
drolatique) se montre un conteur d'exception.
À part ce genre de petite trouvaille narrative,
l’histoire ne se plie à aucun procédé et le scénario
ne semble pas obéir à un plan très précis ou calibré,
au contraire, peut même donner l’impression d’être
improvisé au fur et à mesure de sa progression.
L’histoire se tortille comme la succession des jours
de nos vie, par petits rebonds, par petits accidents,
entre humour et mélancolie, par petites touches
successives et légères tant l’auteur fuit toute
dramatisation, toute mise en scène ouvertement pathétique.
Même l’enterrement de la vieille tante est traité
avec humour et la scène est détournée: c’est bien
entendu la pudeur qui l’emporte. Et les grands problèmes
du monde (les boat-people vietnamiens par exemple), on
pourrait croire que l’auteur ne fait que les effleurer
au passage de quelques cases… Pas par insouciance ou
aveuglement, simplement Rabagliati n’assene pas
de grande vérité, pas de grand discours, et reste
sobrement à hauteur de son personnage.
J’ignore, rien ne confirmant, ou au
contraire n’infirmant la chose, si cette bande dessinée
est une œuvre autobiographique. À part peut-être la
photo qui clôt le livre, reprise en dessin dans une scène
clé, mais finalement, si elle est importante par ce
qu’elle apporte d’émotion supplémentaire, elle
n’a aucunement valeur de preuve. Bien sûr, trop de détails,
trop de fines observations nous poussent à croire que
Paul est bien une réification de Michel Rabagliati
mais si j’insiste sur ce point c’est pour préciser
que le propos de Rabagliati n’est nullement
dans le témoignage. Paul En Appartement aurait
facilement pu tomber dans les travers incertains de la
bande dessinée générationnelle, remémorant les années
80 aux jeunes personnes d’alors, éculant clichés et
clins d’œil appuyés en un private-joke peu
intéressant. Heureusement, il n’en est rien! Rabagliati
est bien trop fin et subtil et sa bande dessinée,
si elle est d’essence autobiographique, l’est pour
insuffler au récit un souffle de vie, une impression de
réalité, une énergie et un rythme rare dans le neuvième
art.
Graphiquement, c’est une réussite.
Le trait, simple, sans virtuosité, est vivant et
caressant, cousin éloigné de Seth, proche dans
l’invention des formes de la ligne claire européenne
mais sans ses tics esthétiques car tourbillonnant,
parfois strié ou gribouillé. Un beau noir et blanc au
service d’une histoire foisonnante de vie, lecture
finie on jurerait avoir lu un album en couleur.
Bande dessinée subtile, maligne, drôle,
intelligente et délicate, Paul En Appartement
est de ces œuvres qui donnent la pêche, qui, comme une
pop-song, simple et légère, pénètre au plus
profond de votre être, comme de petits airs entêtants
tout à la fois sautillants et mélancoliques,
superficiels et essentiels.
Yannick Thome
Date
de parution : juin 2004
Plus+
www.lapasteque.com
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