Taiyô Matsumoto - Ping-pong
t.1
Delcourt
- 2003
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Taiyô
Matsumoto est sans doute le seul auteur japonais
contemporain traduit en français dont on puisse
comparer la démarche à celle d'auteurs indépendants
européens ou américains. Il y a en effet chez lui un
refus des canons habituels et une volonté de réappropriation
très personnelle des codes en vigueur dans le récit
manga, matinée d'influences européennes assumées et
parfaitement digérées (Moebius,…).
Malheureusement, et malgré les louables efforts des éditions
Tonkam, les précédentes œuvres traduites de
Matsumoto n'ont pas trouvé leur public, sans doute
trop différentes de la production courante pour les
fans de manga et ne parvenant pas à capter l'attention
d'un public exigeant mais peu préoccupé de lire des
manga. On est dès lors d'autant plus heureux que
Delcourt tente à nouveau d'imposer Matsumoto
dans le paysage manga francophone.
Pourtant dans Amer
béton (3 volumes chez Tonkam),
il y avait déjà une fascinante poésie urbaine qui
plaçait avec brio un duo d'enfants marginaux, l'un
lunaire, l'autre protecteur, dans une ville sale, déglinguée,
en proie à l'ultra-violence. Poésie urbaine qui
trouvait son accomplissement dans un graphisme d'une
liberté et d'une inventivité étonnantes en parfaite
symbiose avec le propos.
Avec Ping-pong,
paru au Japon en 1996, Matsumoto
met en scène un duo d'adolescents, cette fois dans le
milieu des compétitions scolaires de ping-pong. Même
si Matsumoto
respecte certains passages obligés du manga de sport,
il n'est pas question ici, comme ça l'est trop souvent,
d'une interminable série de plus, qui enchaînerait
compétitions et adversaires de plus en plus redoutables
dans un culte forcené de l'abnégation et du dépassement
de soi. Non, Ping-pong
reste avant tout un manga qui met en avant l'humain dans
toute sa complexité, tissant entre ses personnages des
liens subtils et profondément justes.
Ping-pong,
c'est l'histoire de Peko et de Smile. Peko, qui se rêve
star du ping-pong sans se rendre compte qu'il manque de
talent et Smile, son ami introverti, dont le déni de
son immense talent (car lui, il en a à revendre) permet
de préserver les illusions de Peko et la coquille dans
laquelle la dureté de la vie adolescente japonaise l'a
jeté. Plus d'une fois, on pense au magnifique Kids
return de Takeshi Kitano.
Autour d'eux gravite une foule de personnages
secondaires, qui prendront sans aucun doute plus tard
toute leur importance. Parmi eux, la figure de Koizumi,
l'entraîneur de ping-pong du lycée, apparaît d'ores
et déjà remarquable. En spécialiste de sa discipline,
il a bien évidemment remarqué le talent naturel de
Smile, ce qui va l'amener à le pousser dans ses
retranchements pour qu'il sorte de son indolence et de
son refus de la compétition. Il y parviendra grâce à
un marché dont les termes sont tels qu'ils
contraindront Smile à libérer son esprit combatif et
à sortir de sa réserve. Cette transformation, aux conséquences
pour l'instant imprévisibles, ne devrait pas manquer de
bouleverser l'équilibre fragile qui fonde l'amitié de
Peko et de Smile.
En filigrane, c'est aussi le portrait d'une jeunesse
japonaise un peu déboussolée et qui ne trouve d'issue
à son mal-être que dans le repli que dresse avec
beaucoup de finesse Matsumoto. A la fois tristement banal et profondément humain,
inscrit dans une réalité quotidienne qui permet
difficilement d'associer épanouissement personnel et
contraintes de performances, ce portrait touche là où
ça coince, là où ça fait mal.
Pour compléter le tout, Ping-pong
est la série de la pleine maturité graphique de Matsumoto, d'une virtuosité étourdissante qui achève de faire de
ce premier volume d'une série qui en comptera 5 une
lecture définitivement indispensable.
Un des grands moments bd de l'année.
Fred
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