De
la bande dessinée cinématographique : voilà de
quelle manière Vers le Démon pourrait être rebaptisé. Car tout ici fait référence
au septième art, qu’il s’agisse des planches faites
de dessins empruntés au vocabulaire filmé (plan américain,
panoramique, gros plan, champ et contrechamp…) ou au
scénario, fuite en avant de personnages atypiques dans
un road-movie riche en « lieux » connus et
clichés rebattus ; ce type de synopsis qui nourrit
la plupart des genres cinématographiques contemporains.
On
pense donc systématiquement au cinéma lorsque l’on découvre
ce scénario prenant bien qu’assez peu original. Jack
embarque l’autostoppeuse Sarah vers le grand nulle
part. Chacun a une histoire trouble, un passé enfoui,
et accepte pourtant l’autre, dans sa différence ou
son mutisme. Mais la rencontre avec le jeune Niels,
passager supplémentaire du convoi incongru, va modifier
la donne et exacerber les passions les plus enfouies en
chacun d’eux, jusqu’au dénouement final, sombre
mais inévitable. Difficile de davantage rentrer dans
les détails sans entacher la progression, même mince,
de cette histoire.
Christian de Metter inscrit de grands thèmes (rédemption, mort,
violence, pardon, amour et haine) dans ce voyage d’êtres
bafoués ou meurtris, blindés par une existence qui ne
les aura que peu épargnés, et il s’équipe de
multiples références pour appuyer ses propos :
lieux communs du mythe américain (le Route 66, ses
motels, ses stations d’essences et ses bars miteux),
littérature américaine du siècle passé (Hubert Selby Jr en étendard, qui plane tout le long de la BD -
jusqu’au titre même !).
Vers le Démon n’aurait pu être qu’un énième album de
road-movie désenchanté. Mais De
Metter y injecte une atmosphère assez chatoyante et
douce, dans un univers par ailleurs glauque : cela
est dû à sa manière particulière d’utiliser une
aquarelle aux couleurs vives sur du crayonnage assez léger,
créant ainsi des tableaux de peinture miniatures, comme
autant d’instants figés doux, de clichés photos ou
cinématographiques. Le tout donne un époustouflant résultat
graphique, un album superbe pour une histoire somme
toute quelconque. L’auteur choisit les plus beaux
attraits pour atténuer son propos vraiment pessimiste,
très eastwoodien finalement, selon lequel l’homme, de
par sa nature primitive, est toujours rattrapé par le
Mal.
A
découvrir, surtout pour le talent de dessinateur de Christian
de Metter.
Jean-François
Lahorgue
Date
de parution : 11/01/2006
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